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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 7 janvier 1854, samedi matin, 11 h.

Bonjour, vous, bonjour, et tâchez de vous comporter décemment et avec gravité ce matin. Sachez que je suis là et que je vous surveille avec soin. En attendant, je recueille des petits cancans sur les voisins et sur les voisines, lesquelles, voisines, se sont arraché consciencieusementa les cheveux au risque de se dégarnir le front. Tout cela m’édifie médiocrement, et m’inspire plus que jamais une douce méfiance à votre endroit. Aussi, je vous le répète, je veille, je surveille, je me réveille avec mon idée fixe et je garde mes armes.
À propos d’idée fixe, j’ai eu hier au soir la visite du vieux Collet lequel, entre nous, me paraît tellement fêlé de communisme, que sa pauvre vieille raison ne tient plus ensemble. Ce qu’il y a de plus clair dans ses idées troubles, c’est son amertume contre les riches et les aristocrates. À ce sujet, il m’a fait une confidence d’un soi-disant tort de Mme H. envers lui, misérable prolétaire. Tu penses que je n’ai pas eu beaucoup de peine à la justifier contre son accusation affamée, et deux schellings et demi que je lui ai donnésb ont été d’ailleurs des arguments sans répliques. Seulement, il faut que nous nous tenions plus que jamais sur nos gardes dans nos relations avec ces braves démocrates, car ils ne sont rien moins que bienveillants pour nous et sont plus disposés à tourner à mal le bien que nous leur voulons qu’à l’accepter avec reconnaissance. Ceci dit, mon amour béni, je t’aime sans communisme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16375, f. 15-16
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Chantal Brière
[Blewer]

a) « arrachés conciencieusement ».
b) « donné ».


Jersey, 7 janvier 1854, samedi soir, 5 h.

Car, que faire en un gîte à moins qu’on ne gribouille [1], surtout quand on attend le plus coureur des Toto ? Ainsi fais-je pour votre plus grande punition. Du reste, je suis archi-stupide de vous faire apercevoir de vos épanouissements de jeunesse et de beauté et de vous faire respirer votre propre parfum. Une autre foisa, je tournerai ma langue dix-sept fois avant de vous faire un compliment. Je fermerai les yeux et je me boucherai le nez pour ne pas me laisser éblouir et enivrer. En attendant, je suis une nonante bête de vous avoir averti, ne fût-ceb qu’à cause du proverbe : « un homme averti en vaut deux ». Qui sait même jusqu’où peut aller la forfanterie. Juju ! Juju ! Ma pauvre Juju ! Que l’amour vous rapatafiole. Vous n’aurez que ce que vous méritez, mais je vous plains dans l’âme.

BnF, Mss, NAF 16375, f. 17-18
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Chantal Brière

a) « autrefois ».
b) « fusse ».

Notes

[1Citation de La Fontaine, « Le lièvre et les grenouilles » : « Car que faire en un gîte à moins que l’on ne songe ? »

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