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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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29 avril [1847], jeudi matin, 9 h.

Bonjour, mon bien-aimé, bonjour, mon Victor adoré, je t’envoie ma pensée, mon cœur, mon âme dans ce bonjour. J’espère que je te verrai avant que tu ne t’en aillesa à ta répétition [1]. Si tu n’y allais pas, il me faudrait attendre jusqu’à ce soir pour te voir, ce qui ajouterait à ma tristesse à partir d’aujourd’hui. Jusqu’à l’horrible jour où j’ai perdu ma pauvre fille [2], toutes les heures et toutes les minutes sont marquées par les souffrances de cette malheureuse enfant et par les angoisses de mon cœur. Ces douloureux souvenirs sont autant de lugubres anniversaires que je ne peux pas éloigner de ma pensée. Cette nuit quand je ne dormais pas, il me semblait l’entendre et dans mes rêves je la revoyais telle qu’elle était pendant les derniers jours de sa maladie. Je suis accablée ce matin, il me semble que toutes les douleurs et toutes les fatigues de ces derniers moments de sa vie pèsent à la fois sur mon cœur et sur mon corps. Peut-être trouverais-je quelque soulagement par la prière et c’est près d’elle que je pourrai le mieux prier, dans l’espoir qu’elle m’entendra et qu’elle me donnera en échange le courage et la résignation nécessairesb pour supporter son absence sans murmure et sans amertume.
Tu m’as déjà donné, toi, le courage de vivre. Tout ce qu’un cœur peut recevoir de consolation, je l’ai trouvé dans ton amour, mais il y a une douleur au-dessus de toutes les douleurs et de toutes les consolations humaines, et pour laquelle Dieu seul peut quelque chose. C’est à lui que je veux m’adresser aujourd’hui.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16365, f. 90-91
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
[Guimbaud, Souchon, Massin]

a) « aille ».
b) « nécessaire ».


29 avril [1847], jeudi matin, 11 h. ½

Je t’aime, mon Victor. Ce mot qui sort toujours le premier de mes lèvres et le premier dans ma pensée et dans mon cœur. Je le prononce et je l’écris à toute occasion parce que j’y suspendsa ma douleur, j’y attache ma vie, j’y appuie mon âme. C’est en lui, par lui et pour lui que j’espère, que je vis et que j’attends.
Je te supplie de ne pas t’apercevoir de ma tristesse tous ces temps-ci. La nature a des droits auxquelsb il serait impie de se soustraire. Il faut qu’une mère pleure son enfant mort. Vouloir l’en empêcher serait inutilement cruel car les larmes peuvent seules baigner et laver la plaie de son cœur.
Mon Victor adoré, laisse-moi pleurer en liberté, je t’en supplie. Je ne sais pas encore à quelle heure j’irai à Saint-Mandé ni si j’irai [3]. Je suis dans une espèce de désordre moral qui fait que je ne me rends pas bien compte de l’emploi du temps et de la direction de ma volonté. Je vais de ma chambre ici et d’ici à ma chambre sans but et sans pensée. Je suis comme une montre sans cadran, j’ai le mouvement de la vie sans la règle et la raison qui l’utilisentb aux choses nécessaires. Cependant je m’efforce de reprendre pied, pour toi d’abord que je ne veux pas affliger et pour Dieu que je ne veux pas offenser par un désespoir coupable. Quand tu viendras, mon Victor, j’aurai retrouvé mon calme et ma résignation et je te sourirai pour te prouver combien je t’aime et combien ton amour est vraiment ma vie, ma force et mon bonheur.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16365, f. 92-93
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « suspend ».
b) « auquels ».
c) « l’utilise ».

Notes

[1À élucider.

[2Claire, la fille de Juliette et de James Pradier, est morte de phtisie le 21 juin 1846 à Auteuil où elle est enterrée deux jours plus tard. Exhumé le 11 juillet, son corps est transporté, selon le testament de Claire, au cimetière de Saint-Mandé. Juliette, qui avait emménagé avec sa fille les mois précédant son décès, a assisté à son agonie.

[3Claire, la fille de Juliette et de James Pradier, est enterrée au cimetière de Saint-Mandé.

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