5 avril [1847], lundi matin, 11 h.
Tu as bien fait de venir, mon doux bien-aimé, car j’avais le cœur un peu gros ce matin, et probablement j’en aurais laissé percera quelque chose dans mon gribouillis. Maintenant que tu m’as donné un peu de cœur au ventre (bien peu), je pourrai te sourire sans trop d’effort en attendant que je te revoie ce soir. Il fait un temps bien peu favorable à la visite [1] que tu projettes pour tantôt. Prends garde de ne pas avoir les pieds mouillés et de rester trop longtemps dans les salles d’infirmerie. Cette saison de l’année est la plus dangereuse pour attraperb des fièvres pernicieuses, et je te prie de t’y exposer le moins possible. je n’ai pas besoin que tu aies quelque effroyable maladie. C’est bien assez et beaucoup trop de ton travail et de ton absence sans y ajouter aucune autre calamité. Ainsi tâche d’être prudent et de revenir de bonne heure. Pense que je ne te verrai pas de la soirée. Cependant si tu ne revenais pas trop tard de chez le duc de Montpensier, si tu n’étais pas trop fatigué et s’il faisait beau cette nuit, tu ferais une bonne action en venant m’embrasser, ne fût-cec qu’une minute. Je te le demande dans ces conditions-là seulement car je ne voudrais pas t’imposer une gêne, ni une fatigue et encore moins un malaise pour mon plus grand bonheur. Mais si rien de tout cela n’est à craindre, je te supplie de me venir voir un petit moment cette nuit avant de t’aller coucher.
Vous voyez, mon Toto, que je sais à peu près ce que vous faites et ce qui se passe chez vous. Tâchez de vous bien conduire et de m’être bien fidèle si vous ne voulez pas périr de ma main. Vous savez que c’est mon seul moyen de vengeance et que je suis très décidée à l’employer jusqu’au bout. Sur ce, baisez-moi et aimez-moi et la mort.
Juliette
Harvard
[Barnett et Pouchain]
a) « percé ».
b) « attrapper ».
c) « fusse ».