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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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5 mars 1847

5 mars [1847], vendredi matin, 9 h. ¾

Bonjour, mon Toto bien-aimé, bonjour, comment vas-tu ce matin ? Tu m’as quittée cette nuit sur un bon accès de rire. Vilain sale, vous étiez dans votre élément, là, aussi vous vous en êtes donné à cœur joie et moi aussi parce que je ne sais pas résister à votre vilaine influence. Voime, voime, c’est du propre, je m’en fiche.
Est-ce qu’il n’y aura pas moyen de t’aller chercher quelque part aujourd’hui ? Ce sera bien ennuyeuxa, surtout si tu ne viens pas de bonne heure. Je m’habituerais très bien et trop bien à aller au-devant de vous tous les jours, même sans le célèbre Léopold et sans son équipage [1].
Allons, voilà les fumistes [2]. Quel fou rire je vais avoir, et penser que cela ne servira de rien. Depuis bien longtemps ce brave charabia dit qu’il faudrait refaire à neuf toute la languette de la cheminée, que tous les raccommodagesb du monde ne sont bons à rien. C’est consolant à savoir quand on a affaire à une vieille avare comme cette propriétaire de chien que j’ai. Si j’avais pu savoir ce qu’elle était et les inconvénients de son logis, je n’y serais certesc pas venue [3]. Il va falloir encore aller au [bois  ?] demain. Sans compter qu’il ne peut rien pousser dans le jardin [4] et mille autres ennuis que je n’énumère pas mais qui me feraient reculer si c’était à refaire. J’y suis, j’y reste, il le faut et je m’y résigne, mais ce n’est pas sans regretter bien des fois dans la journée la pauvre petite maison du n° 14 où tu m’aimais tant et où j’étais si heureuse [5]. Cela n’est pas défendu, n’est-ce pas, pas plus que de t’aimer et de te baiser de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16365, f. 53-54
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « ennuieux ».
b) « racommodages ».
c) « certe ».


5 mars [1847], vendredi soir, 7 h.

Quelle journée, mon Victor adoré, j’en ai la gorge toute déchirée par cette odieuse poussière âcre de suie. J’en ai le cœur tout triste de ne t’avoir presque pas vu malgré que tu étais là dans ma chambre. Cependant j’avais fait force de bras, de courage, de torchon et d’époussetoir pour être prête quand tu viendrais mais tous mes efforts n’ont aboutia qu’à me donner encore plus de regret si c’est possible. Du reste, voilà pourquoi je faisais vie qui dure [6] avec la fumée, c’était parce que je prévoyais tous les ennuis et tout le dérangement que cela ferait chez moi. Enfin c’est fini, au moins pour quelque temps car il paraît certain qu’il faudrait faire faire la chose à neuf pour qu’elle ne fumât plus et qu’elle durât longtemps.
Je me coucherai tout à l’heure parce que je me suis un peu fatiguée. Demain matin je prendrai un bain et puis il n’y paraîtra plus j’espère.
Cher adoré, mon bien-aimé, mon Victor, mon âme, ma joie, ma vie, mon tout, je te baise en pensée et en désir et je t’attends de toutes mes forces. Je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16365, f. 55-56
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « aboutit ».

Notes

[1Allusion à élucider, peut-être au neveu de Hugo, prénommé Léopold comme son grand-père ?

[2Il s’agit de « deux espèces de Lanvin alsacien et auvergnat, (…) ces deux espèces de charabia qui ont trois boutons à eux deux et le quart d’un paletot de guenille » (lettre du 1er décembre 1846), comme Juliette Drouet les appelle, des ouvriers qui interviennent régulièrement chez elle pour des réparations.

[3Dans sa lettre du 8 janvier 1846, Juliette se plaint déjà de la fumée qui emplit son logis à cause de « crevasses dans les murs ».

[4Le logement de Juliette au 12 de la rue Sainte-Anastase, qu’elle occupe depuis le 10 février 1845, dispose d’ « un petit jardin à fleurs et à fruits » (lettre de Juliette Drouet à Victor Hugo, 14 août 1844).

[5Juliette a déménagé, le 10 février 1845, du 14 au 12 de la rue Sainte-Anastase.

[6Ménager son corps, sa santé, ses ressources pour les faire durer le plus longtemps possible.

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