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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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18 mai 1846

18 mai [1846], lundi matin, 8 h.

Bonjour cher adoré, bonjour mon divin petit Toto, bonjour. Je souffle mon âme vers toi dans un baiser. J’ai bien regretté hier de ne pas t’avoir laissé le parapluie car je n’ai pas eu une seule goutte d’eau pour revenir et depuis ce moment l’ouragan et la pluie n’ont pas cessé de faire rage. Pourvu qu’il ne pleuve pas au moment où tu iras à la Chambre et où tu en sortiras. Dans ce moment, moins que jamais, je ne pourrais supporter la moindre inquiétude sur ta santé. Aussi, mon Victor adoré, je te recommande plus que jamais le soin de ta chère santé ! Ma raison ne résisterait pas à un chagrin nouveau dans ce moment-ci, je le sens.
Ma fille a passé une mauvaise nuit. Sa toux a été continue. Ce matin elle est horriblement fatiguée. Jusqu’à présent elle n’a pas encore eu deux journées de suite de calme. Aujourd’hui, c’est son mauvais jour. Je prévois que je vais avoir besoin de tout mon courage et de toutes mes forces pour lui montrer un visage tranquille et gaia. L’effort est moins difficile et moins douloureux quand je suis sûre de te voir au bout de la journée. Mais quand j’en doute, cela m’est presque impossible. Il le faut cependant, et j’ai déjà commencé ma tâche en renfonçant mes larmes deux ou trois fois depuis que je suis levée. Pour m’y aider, je pense que tu feras tout ton possible pour venir ce soir et je te bénis et je t’aime et je t’adore. Je baise ta ravissante petite bouche rose.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16363, f. 61-62
Transcription de Marion Andrieux assistée de Florence Naugrette

a) « gaie ».


18 mai [1846], lundi après-midi, 2 h. ½

Où en es-tu, mon Toto bien-aimé, que fais-tu, et à qui penses-tu dans ce moment-ci ? Il me semble que je te vois descendre le grand escalier qui conduit à la salle des séances. Je vois ton beau visage si noble, si doux et si lumineux qui impose le respect à tous, qui me charme, m’éblouit et fait battre mon cœur d’amour et d’admiration. Suis-je lucide est-ce bien là que je te vois au moment où je t’écris ces lignes ? J’espère que tu auras trouvé un parapluie pour te rendre à la Chambre. J’espère encore que tu viendras ce soir et que je pourrai te reconduire jusqu’aux Invalides. Je l’espère autant que je le désire, c’est-à-dire de toutes mes forces et de tout mon cœur. M. Triger est venu hier pendant mon absence. Il a trouvé ma fille assez bien. Il doit revenir demain pour l’ausculter. Il faudra que je m’y trouve absolument, quand je devrais marcher sur mon cœur pour ne pas te reconduire. Du reste, la journée est aussi mauvaise que la nuit. Cette pauvre enfant n’a pas eu une heure entière de repos jusqu’à présent. Son père a envoyé l’institutrice [1] et Charlotte voir Claire. J’ai profité de leur présence pour leur faire voir l’appartement en question [2]. Maintenant, quoi qu’il arrive, ma fille ne pourra pas se méprendre sur les motifs qui me feront retourner à Paris et son père ne pourra plus faire semblant de prendre le change à ce sujet. Si le bon Dieu exauçait mes prières, il guérirait ma fille tout de suite et me rendrait ma pauvre maison bénie [3] dans laquelle tu es tout entier et où je peux t’espérer à toute heure. En attendant je t’aime à deux genoux et je t’attends malgré tout ce qui paraît devoir s’opposer à mon bonheur.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16363, f. 63-64
Transcription de Marion Andrieux assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Claire était sous-maîtresse au pensionnat de Saint-Mandé et préparait son examen d’institutrice quand elle tomba malade.

[2Appartement plus vaste, plus confortable et refait à neuf, que Juliette Drouet voudrait pouvoir louer dans la même maison (voir lettre du 15 mai).

[3Son logement de la rue Sainte-Anastase.

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