Jersey, 28 novembre 1854, mardi après midi, 3 h. ½
Que tu es souverainement bon et ingénieusement tendre, mon cher adoré, avec moi. Comme j’apprécie la délicatesse de tes procédés envers moi, pauvre femme, qui ne peut plus t’inspirer d’autres sentiments qu’une estime profonde et un dévouement sans borne. Avec quelle grâce élégante et presque galante tu m’as demandé ce matin mon petit plâtras de buste. Il n’aurait tenu qu’à moi de prendre le change sur cette affectueuse politesse et pousser l’illusion jusqu’à me croire aimée comme le premier jour où je me suis donnée à toi. Malheureusement la raison me sauve de ce leurre ridicule, mais rien ne peut m’empêcher de t’aimer par delà la jeunesse, par delà les limites que les préjugés assignent à l’amour car je t’aime d’avance au-delà de la vie, au-delà même de l’éternité s’il y a quelque chose de mon âme qui y survive. Je te dis tout cela à l’azar de mon cœur qui n’est rien moins que spirituel comme tu ne le sais que trop, voirea même aux dépensb de ton propre esprit que je grappillec par-ci par-là au profit du tiers et du quart et des Jersiais. À propos de Jersiais on n’a trouvé que le Charles Asplet chez lui, lequel a paru ravi de l’envoi et doit venir m’en remercier ce soir. Quant à Philippe [1] je crois qu’il donnerait mon buste, ma personne et peut-être tous ses compatriotes pour un petit manuscrit de toi quelque petit qu’il soit. Est-ce qu’il n’y aurait pas moyen de lui en pêcher un au passage, celui de demain par exemple ? Quand à moi je suis toute prête à le copire pour le seul intérêt et l’unique grand bonheur de lire avant tout le monde vos nouvelles sublimités. Je ne suis déjà pas si bête comme vous voyez.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16375, f. 406-407
Transcription de Chantal Brière
a) « voir ».
b) « dépends ».
c) « grapille ».