18 septembre [1846], vendredi après-midi, 1 h. ½
Vous roulez sans doute maintenant, mon cher petit homme adoré, en compagnie de toute votre famille ? [1] Encore si je savais la direction dans laquelle vous allez je pourrais vous suivre de la pensée et de l’âme ; tandis que, dans l’ignorance de votre route, je ne peux que penser à vous et désirer votre retour très prochain de toutes les forces de mon cœur.
Cher adoré, mon doux Victor, je t’aime, je te bénis, je pense à toi, je suis triste de ton absence mais je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime. Je copierai [2] tout à l’heure et puis ce soir, si j’en ai le courage, j’irai chez Joséphine jusqu’à neuf heures. Il est très possible cependant que la paresse et le découragement soient plus forts que le besoin de prendre l’air et de marcher et que je reste chez moi.
Quand je vous dis que vous ne m’avez pas parlé du quartier des femmes [3], je le sais bien et je sais encore mieux pourquoi, vilain monstre ; une autre fois vous aurez la bonté de ne pas y aller sans moi s’il vous plaît et de ne pas donner des pièces de cent sous aux jolies voleuses qui se trouvent mal. Diable, vous êtes bien sensible pour les jeunes scélérates. Que je vous y reprenne et puis vous verrez. On n’a pas idée d’une pareille immoralité. Décidément, il n’y a rien de plus vicieux qu’un académicien si ce n’est un pair de France. Taisez-vous et rougissez si vous pouvez, cynique personnage, et baisez-moi, monstre d’homme.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16364, f. 137-138
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette