Paris, 2 février 1880, lundi matin, 8 h.
Quelle agaçante nuit nous venons de passer tous les deux, mon pauvre bien-aimé ! Mais aussi quel exécrable temps il fait en ce moment, un brouillard tellement épais et tellement glacial que l’âme et le corps en sont tout attristés et tout endoloris. Il semble qu’on ne doive jamais sortir de cet interminable hiver. Hélas ! c’est ce matin qu’on doit enterrer la pauvre Mme Crémieux [1]. Quelle douleur pour son pauvre mari ! J’en ai le cœur serré en y pensant. Toute la consolation qu’on puisse désormais espérer pour lui c’est qu’il la suive assez tôt, qu’il n’ait pas le temps de souffrir de cette cruelle séparation. Je le lui souhaite ardemment en priant Dieu de leur accorder cette suprême récompense à elle et à lui en l’honneur de leur long et fidèle amour. C’est ce que je demande pour moi-même avec l’espérance qu’il me l’accordera en permettant que tu bénisses mon front avant de clore mes yeux [2]. Je t’adore.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16401, f. 34
Transcription de Blandine Bourdy et Claire Josselin