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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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31 décembre [1847], vendredi matin, 9 h. ½

Bonjour mon bien-aimé, bonjour mon toujours plus jeune, plus beau et plus charmant Pécopin. Bonjour et surtout bonne chasse et prompt retour si vous ne voulez pas me trouver plus vieille, plus cassée, plus glabre et plus branlante que la pauvre fidèle Bauldour de tendre mémoire. Tous les aigles, tous les milans et tous les vautours du monde ne valent pas une seule des plumes du doux oiseau d’amour, vous le savez pourtant bien, mon grand poète, ce qui ne vous empêche pas de continuer votre chasse fantastique à travers la forêt touffue et inextricable de votre génie avec un acharnement qui ne présage rien de bon à votre pauvre Juju [1]. Encore si j’avais un talisman pour me rajeunir, j’attendrais avec plus de patience, mais vous avez eu le soin, peu généreux, de le garder pour vous tout seul, ce qui fait que je vais toujours vieillissant et toujours me ridant et me griffagnant [2] de plus en plus. Ça n’est pas juste. Aussi je vous conjure de laisser courir le cerf aux seize andouillersa pour la pauvre femme qu’on appelle Juju. D’abord elle ne vous fera pas autant courir car elle ne demande qu’à être attrapéeb…..c par vous. Seulement dépêchez-vous si vous ne voulez pas arriver trop tard, seigneur Pécopin. En attendant, je file….d des jours assez monotones, ce qui vaut encore mieux que de filer un mauvais coton. Et je vous aime de toutes mes forces, cher bien-aimé de mon âme, je te baise en pensées et en désirs et je t’attends avec toutes sortes de bonnes choses dans le cœur.

Juliette

Leeds, BC MS 19c Drouet/1847/76
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen

a) « andouliers ».
b) « attrappée ».
c) Il y a cinq points de suspension.
d) Il y a quatre points de suspension.


31 décembre [1847], vendredi midi

Je me dispose à aller à Saint-Mandé [3], mon cher adoré. Je n’y serai que très peu de temps et tu ne pourras pas t’inquiéter. D’ailleurs je serai de retour avant que tu viennes. Je n’emmènea pas Suzanne précisément parce que je serai très peu de temps et qu’il faut que les affaires de la maison se fassentb. Je te promets d’être prudente et de ne pas m’attarder en route. Je vais me dépêcher de m’habiller et je prendrai l’omnibus pour aller et venir. Je pensais n’y aller que demain mais comme Mme Guérard viendra le matin cela me force à y aller aujourd’hui.
Cher adoré bien-aimé, je te promets d’être bien raisonnable et bien résignée si par hasard tu venais avant mon retour. Suzanne te donnerait toutes tes affaires et tu trouverais ton buvard [4] sur le petit meuble au fond de mon cabinet. Mais, je te le répète, je ne vais faire qu’aller et venir. J’ai seulement ma toilette en gros à faire et puis je pars. J’ai reçu une lettre de Mme Luthereau que nous lirons ensemble. Et puis je t’aime et puis je te baise et puis je t’adore. Je voudrais être déjà auprès de toi, mon bonheur. Plus je vais et plus je t’aime, plus je t’aime et plus j’ai besoin de t’aimer, ce qui fait que cela ne finira même pas avec ma vie. D’ailleurs je ne voudrais pas du paradis sans toi. Rien ne vaut pour moi le bonheur de t’aimer et d’être aimée de toi. Le bon Dieu le sait bien et puisqu’il est bon je ne crains rien.

Juliette

Leeds, BC MS 19c Drouet/1847/77
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen

a) « enmène ».
b) « fasse ».

Notes

[1Référence à la « Légende du beau Pécopin et de la belle Bauldour » (Le Rhin, Lettre XXI, 1842). Dans ce conte qui se situe dans une région germanique au Moyen Âge, Pécopin, chevalier romantique, est entraîné par un comte et sa troupe de cavaliers dans une chasse fantastique qui l’éloigne de sa fiancée Bauldour à quelques jours de leurs noces. Juliette rappelle souvent ce texte lorsqu’elle regrette sa jeunesse et sa beauté. Dans cette lettre précisément, elle mentionne les différents animaux chassés par Pécopin et la fin du conte :
« LE MERLE
Enfin, mon beau chasseur, te voilà de retour !
LE GEAI
Tel qui part pour un an croit partir pour un jour.
LE CORBEAU
Tu fis la chasse à l’aigle, au milan, au vautour,
LA PIE
Mieux eût valu la faire au doux oiseau d’amour !
LA POULE
Pécopin ! Pécopin !
LE PIGEON.
Bauldour ! Bauldour ! Bauldour ! »

[2Néologisme formé sur « griffe », désignant, ici, les cheveux en désordre.

[3C’est là qu’est enterrée Claire Pradier, la fille de Juliette.

[4Il s’agit d’un portefeuille qui contenait des papiers buvard, où l’écrivain rangeait ses feuilles manuscrites pour les sécher.

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