25 novembre 1849

25 novembre [1849], dimanche matin, 8 h. ½

Bonjour, mon cher petit homme, bonjour, mon trop bien aimé, bonjour, pense à moi et tâche de ne pas prolonger la visite de M^lle Rachel au-delà des limites du nécessaire et de la politesse. Tout ce que tu lui donneras en plus je l’aurai en moins, c’est-à-dire en rien du tout car ton temps est tellement pris d’ailleurs qu’il ne reste rien pour moi. Je me recommande donc à ta probité et à ta générosité pour me faire une part moins parcimonieuse aujourd’hui de joie et de bonheur. J’espère encore que tu ne te laisseras pas séduire par les avances et les coquetteries intéressées de cette juive sans cœur ? Enfin j’espère que tu te souviendras à ce moment-là qu’il y a dans un coin une pauvre femme qui t’aime et qui pour te le prouver a renoncé^a à tous les avantages de la jeunesse et de la beauté. J’ai passé une très mauvaise nuit. Il n’en pouvait guère être autrement ne t’ayant pas vu. Mais mon mal, loin de diminuer, va en augmentant au point qu’il me faudra consulter M. Triger ou M. Leboucher. Tu me diras celui que tu préfères ; quant à moi je n’y tiens pas autrement. Je garde toutes mes préférences pour toi ; tout le reste m’est égal comme deux œufs. Dans ce moment-ci je souffre au point de m’interrompre à chaque ligne. Est-ce nerveux, est-ce rhumatismal ou inflammatoire^b, je ne sais pas mais je souffre beaucoup. Tâche de ne pas ajouter à mon mal la souffrance plus cruelle de t’attendre en vain. J’y compte, mon bon petit homme, et je me fais de la raison, de la patience et du courage avec cette persuasion que tu viendras de bonne heure parce que tu m’aimes. Nous verrons si j’ai eu raison. En attendant je te baise dans toutes les langues, dans toutes les religions et par tous les bouts.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 325-326
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « à renoncer ».
b) « inflamatoire ».