23 octobre 1849

23 octobre [1849], mardi matin, 7 h.

Bonjour, mon Toto, bonjour, mon cher petit homme, bonjour, dors bien, je t’aime de toute mon âme. Si tu pouvais voir le beau soleil qu’il y a dans le ciel dans ce moment-ci, cela te rappellerait les ravissantes matinées de notre amour. Il me semble que j’y suis, tant les souvenirs de mon bonheur passé sont frais et vivaces. Il me semble que nous allons monter tous les deux tout à l’heure dans le cabriolet d’Adam et que nous allons revoir toutes ces charmantes routes de la forêt noire [1]. Hélas ! Il n’en n’est rien pourtant, quoique toutes ces choses existent encore comme Dieu les a faites dans la nature et dans mon cœur. Je

2^e feuille, 23 octobre [1849], mardi matin, 7 h.

t’aime comme dans ce temps là les oiseaux chantent dans les broussailles, l’air est doux et les arbres secouent sur les passants leurs feuilles dont la tête a fait des fleurs d’or et de pourpre. Rien ne manque excepté le loisir, la tranquillité d’esprit… et le reste aussi. J’ai pour tout horizon l’Assemblée nationale et ses murs de carton, pour compagnons de route les hideux bourgeois que l’omnibus ramasse au coin des bornes, pour paysage les marchands de poussiers de mottes et pour rossignol le chant mélodieux du marchand de peau de lapin enrhumé. Tout cela deviendrait charmant, pittoresque et amusant si nous ne nous quittions pas. Mais dans l’état d’isolement où me laissent^a tes occupations incessantes, je hais toutes les choses et elles me deviennent suprêmement ennuyeuses. Ce n’est pas ma faute si je n’aime que toi et si je t’aime trop.

Juliette

MVHP, Ms, a8294 et a8295
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

a) « laisse ».