23 [septembre] [1849], dimanche matin, 6 h. ¾
Bonjour, mon cher petit homme, bonjour, mon doux amour, comment ça va ? Moi, je vais bien et je t’aime encore mieux. Est-ce que tu vas décidément aujourd’hui à Villequier [1] ? Le temps est bien froid et bien maussade. Peut-être fera-t-il plus beau demain. Quant à moi, je voudrais que tu sois déjà revenu et que tu ne partes jamais, problème assez difficile à résoudre. Aussi je ne peux pas me résigner à souhaiter que tu t’en ailles plutôt aujourd’hui que demain, et demain qu’après-demain. J’attends et je suis triste de penser que nous allons être séparés par vingt-quatre heures et vingt-cinq lieues. Tu m’as promis de ne pas t’en aller sans venir me dire adieu et j’y compte, mon bon petit bien-aimé, pour me donner le courage et la patience nécessaire pour attendre ton retour. Cependant, mon Toto, s’il y a encore le choléra à Villequier, il vaudrait mieux remettre ta pieuse visite que de compromettre ta santé et peut-être ta vie en y allant maintenant que tu es toi-même un peu indisposé. Il me semble que c’est bien imprudent d’aller dans ce moment-ci dans cet endroit humide et hanté par le choléra. Si j’avais quelque influence sur toi, je t’en détournerais au lieu de t’y encourager, mais mon autorité ne va que jusqu’à t’adorer. Le RESTE ne m’est pas soumis, tant s’en faut. Je ne peux donc que m’inquiéter, prier et me soumettre. Mon petit homme adoré, si tu vas à Villequier, aujourd’hui comme c’est très probable, sois prudent et reviens demain sans faute. Jusque-là, je te bénis et je t’aime du fond de l’âme.
Juliette
Harvard
Transcription de Marva Barnett et Gérard Pouchain
[Barnett et Pouchain]