12 août 1849

12 août [1849], dimanche midi

Pauvre bien-aimé, c’est bien mal à moi de t’user ton beau papier blanc, ta bonne encre et ta bonne plume pour rien, c’est-à-dire pour mon plaisir, pour mon bonheur, pour mon amour. Si j’avais le moindre petit sentiment d’économie je ne gaspillerais pas tous les jours des bonnes choses dont je suis assez à court du reste pour les ménager. Mais je n’écoute rien que mon bon plaisir qui me pousse à te griffouiller toutes sortes de tendres inepties depuis le matin jusqu’au soir. Tout ce que je peux faire c’est de te supplier très sincèrement de ne pas les lire. Voilà mon cher petit homme tout ce qui dépend de moi. Je ne peux pas m’empêcher d’être très préoccupée de ce pauvre Vilain et de son cousin [Giroult  ?Girault  ?] [1]. Et à moins que le bonheur ou le désespoir ne l’aient fait se piquer une tête du haut des tours Saint-Ouen, il est probable que nous le verrons aujourd’hui et qu’il ira chez toi en premier pour te rendre compte de tout ce qui s’est passé et pour te remercier à deux genoux. En attendant il est bien singulier qu’il tarde autant, surtout n’ayant personne à Rouen qui lui tienne vraiment au cœur [2]. Le temps et la patience nous donneront le mot de tout cela. Jusque-là c’est assez agaçant. Baise-moi, mon petit homme, chose dont je ne me lasserais jamais si tu voulais y consacrer tout ton temps, toute ta force et tout ton cœur pendant toute l’éternité.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 223-224
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse