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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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27 octobre [1845], lundi, midi ¾

Bonjour, cher bien-aimé, bonjour, mon adoré petit Toto, ne me gronde pas de ne t’avoir pas écrit plus tôt parce que ce n’est pas de ma faute. J’ai eu trente-six rangements de plus qu’à l’ordinaire et des nettoyagesa de lampe sterling. Mais je pense à toi, mon Victor chéri, je te désire et je t’aime. Je me suis levée à sept heures ce matin pour dire adieu à ma Péronnelle. J’espère que cette dernière leçon lui profitera. Il est bien temps en effet qu’elle devienne une personne sérieuse et raisonnable dans le sens honnête et aimable du mot. Enfin j’ai tant besoin d’y croire que je me fais peut-être illusion, mais je crois que cette dernière algarade la corrigera. Je l’ai embrassée avec cette pensée et elle s’en est allée contente.
Je m’étais levée dans la pensée de commencer à copier de bonne heure et voilà justement que je suis déjà en retard grâce à mille petits détails de ménage que tu ne connais pas mais qui sont presque impérieux. Je vais tâcher de rattraperb le temps perdu en me dépêchant le plus que je pourrai. C’est si bon de travailler pour toi, même quand ce n’est pas avec ta chère petite écriture que je suis bien contrariée quand quelque chose m’arrête. Je vais faire ta tisanec tout de suite et puis me débarbouiller en gros, et puis je copierai à mort toute la soirée. Baise-moi, mon Victor adoré, et viens tout de suite. Je t’attends.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 87-88
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « des nétoyages ».
b) « rattrapper ».
c) « ta tisanne ».


27 octobre [1845], lundi soir, 8 h. ½

Je t’écris de mon lit, mon cher bien-aimé, où je suis blottie, je pourrais même dire aplatiea, tant je souffre. Demain, j’espère, il n’y paraîtra plus, mais pour ce soir, je suis tout à fait abasourdie. Je t’écris avec la lumière à ma droite, ce qui fait que l’ombre de ma main me masque tout à fait ce que j’écris. Heureusement que je n’ai pas besoin d’y voir pour te dire que tu es mon petit homme bien aimé que j’aime plus que plein mon cœur.
Demain je me mettrai à la besogne et de très bonne heure encore. Je n’aurai pas à faire tous les triquemaquesb d’aujourd’hui, de sorte que je serai prête de très bonne heure et que je pourrai copire idem. Dieu de Dieu, on ne se douterait jamais, à voir mes stupides gribouillis que je lis Saint-Simon et que j’ai l’honneur de vous approcher un peu tous les jours. Quand j’y pense, je suis effrayée et honteuse de ma monstrueuse ineptie. On dit, je ne sais pas si c’est vrai, que l’amour donne de l’esprit aux bêtes et qu’il l’ôte à ceux qui en ont. À ce compte-là je pourrais avoir une fatuité rétrospective en pensant que mon crétinisme actuel n’est pas entièrement de mon fait. En attendant, j’ai trop mal à la tête. Je sens ma pauvre cervelle qui bout dans ma tête. Je ne sais plus ce que je fais ni ce que je dis. Si tu viens tout à l’heure, comme je le désire et comme je l’espère, mon Toto adoré, je serai probablement mieux, la crise qui me tient dans ce moment-ci sera probablement passée. D’ici là, pardonne-moi d’être aussi blaireuse et aussi ennuyeuse que je le suis, ça n’est pas de ma faute et encore moins celle de mon amour, car il est impossible de t’aimer autant que je le fais, tu le sais bien, n’est-ce pas mon adoré ?

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 89-90
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « applatie ».
b) « triquemacs ».

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