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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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22 octobre [1845], mercredi matin, 10 h.

Je vous écris de mon lit, mon petit homme, où je suis encore autant par paresse que par froid. J’ai commencé aujourd’hui ce régime économique que je garderai probablement tout l’hiver pour épargner mon bois tout en ayant bien chaud. Du reste cela ne change en rien l’ordre et la marche de mes occupations de la matinée qui s’accordent très bien avec la position horizontale : écrire mes griffouillis quotidiens, mes dépenses, mon blanchissage, lire mes journaux, déjeuner, tout cela s’accommode très bien du lit. Autrefois, nous partagions ensemble ce doux emploi et nous ne nous en trouvions pas plus mal. Maintenant nous le faisons chacun de notre côté, ce qui est moins piquant, mais il ne dépend pas de moi que cela soit autrement. Je m’arrête là devant ce souvenir si doux et si humiliant pour le présent et je n’ose pas espérer un plus bel avenir, car c’est surtout en amour qu’on ne revient pas sur ses voies. Je ne veux pas vous rien dire de désagréable, mon petit homme, aussi je me tais SANS MURMURER.
Vous savez que nous m’avez promis une culotte de clôture. Vous savez encore que vous avez promis de faire le sixième jeune homme de mon prochain balthazar. Pour vous y décider et pour faciliter la chose si vous voulez, nous fondrons les deux festivaux dans un dont vous paiereza votre part. Et, pour rendre la chose encore plus coulante, j’inviterai mes deux jeunes maîtresses d’école [1] ? Si cela vous culotte, vous n’aurez qu’à le dire, je prendrai avec vous jour pour faire mes invitations. En attendant, je vous baise, je vous adore comme la plus heureuse des Juju que j’aurais le droit d’être.

BnF, Mss, NAF 16361, f. 67-68
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « vous pairez ».


22 octobre [1845], mercredi, midi ¼

Gronde-moia si tu veux, mon adoré, mais je ne saurais m’empêcher d’être triste et malheureuse au fond du cœur aujourd’hui. Les voilà donc finiesb jusqu’à l’année prochaine ces bonnes petites matinées et ces bonnes petites soirées que le soin de ta personne et la lecture de tes journaux prolongeaient agréablement. Hélas ! d’aujourd’hui tout est fini pour moi. Je rentre dans mon isolement et dans mon oubli. C’est fort triste et j’ai toutes les peines du monde à m’empêcher de pleurer. Cela peut te paraître déraisonnable, mais pour moi il m’est impossible d’être autre chose que profondément triste.
J’aurais voulu pouvoir faire ce que tu désirais au sujet de cette robe mais en conscience cela ne se peut pas utilement. Après cela je ne te ferai pas un grand sacrifice en ne sortant pas de tout l’hiver et je m’y résigne d’avance sans le moindre regret. L’important est que tu ne te tourmentes pas à mon sujet.
Mon Victor chéri, mon amour bien aimé, si tu n’es pas triste, si tu ne souffres pas, si tu ne me regrettes pas, si tu ne me cherches pas à côté de toi, c’est que tu ne m’aimes pas comme je t’aime, car c’est bien tout ce que j’éprouve dans ce moment-ci, moi qui t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 69-70
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « Grondes-moi ».
b) « fini ».


22 octobre [1845], mercredi soir, 8 h. ¾

Mon adoré bien-aimé, mon Victor charmant, mon doux aimé, ma vie, mon bonheur, je pense à toi, je t’aime, je t’adore. J’étais accablée de tristesse tantôt quand tu es venu. Il me semblait qu’il m’était arrivé un grand malheur. Hélas ! c’en est un bien grand que d’avoir perdu l’habitude de te voir régulièrement àa

23 octobre [1845], jeudi matin, 8 h. ¾

Bonjour, mon petit bien-aimé, bonjour, mon Toto, je t’aime, je te désire, je t’attends, je t’espère... bien tard malheureusement, mais enfin j’espère que je te verrai tantôt. Que tu es bon d’être venu passer le reste de ta soirée avec moi, mon Victor. Va, je sens bien tout ce que tu fais pour moi, ce n’est pas de ma faute si je ne sais pas mieux l’exprimer. Quand je te vois, tout mon sang est en joie. Je sens que tout mon être participe à mon bonheur. Je suis heureuse depuis les pieds jusqu’à la tête. Merci mon Victor, tu m’as apporté hier mes trente-six mille francs, merci, tu es un bon petit homme. Je ne sais pas encore ce que j’en ferai, mais je t’en remercie toujours à l’avance. Voime, voime, voime, ma pauvre Juju te voilà riche pour le reste de la vie. Crois cela et bois beaucoup d’eau.
Qu’est-ce qu’à dit la pauvre Dédé de notre marché ? Cette pauvre enfant a été attrapéeb un peu trop bien par le hideux marchand. Une autre fois il faudra qu’elle y regarde à deux fois. En attendant, elle a perdu son argent et moi j’ai gagné le bonheur de faire une petite promenade avec toi. On ne peut pas tout avoir.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 71-72
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) La première page s’interrompt ainsi.
b) « attrappée ».

Notes

[1L’une des deux est vraisemblablement Claire Pradier, sa fille.

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