Guernesey, 16 mars 1860, vendredi matin, 7 h. ¾
Bonjour, mon pauvre tiraillé, bonjour avec ce que j’ai de plus tendre et de plus doux dans le cœur, bonjour. As-tu enfin réussi à passer une bonne nuit dans un bon et long sommeil ? J’espère que oui et j’espère aussi que tes ouragans de domestiques sont apaisésa pour longtemps et que tout rentrera dans un calme relatif, car pour la paix absolue et continue il n’y faut pas compter même en changeant tout ton personnel actuel de servantes [1]. Du reste ta femme saura mettre le holà dans ces divisions entre le tournebroche et le balai, entre la cuisinière et la femme de chambre. Quant à toi, mon pauvre grand être, tu as fait comme toujours de la conciliation et de la réconciliation entre l’eau et le feu, entre l’ordre et le désordre, reste à savoir combien cela durera. Quant à Miss A [2]., elle pense comme nous que le moins mauvais serait de garder Marie, dût-on sacrifier Rosalie, laquelle pour elle encore comme pour nous n’est rien moins que probe. Elle m’a dit cela le temps que Suzanne allait ouvrir à Mme Marquand car je lui avais fait signe de ne pas parler devant Suzanne de toutes ces choses. Voilà, mon cher adoré, avec les réflexions sur le départ de Mlle Loisel les seuls CANCANS que nous avons faits. Si je mérite des coups donnez-les moi, je vous les rendrai et nous serons quittes.
En attendant je vous baise comme plâtre [3] et je vous aime de tout mon cœur.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16381, f. 52
Transcription de Claire Villanueva
a) « appaisés ».