18 avril [1845], vendredi matin, 10 h. ¼a
Bonjour, mon Toto, bonjour, mon cher petit pair [1], bonjour, vous que j’aime malgré vos dignités et en dépit de tous les honneurs qu’on vous rend, bonjour. Je voudrais bien que ce fût fini une bonne fois pour toutes pour pouvoir jouir un peu de votre auguste personne. Malheureusement, je ne prévois pas que cela finisse de si tôt. Je dirai même, si j’osais avoir le courage de me désespérer tout d’un coup, que je ne prévois pas que cela finisse jamais. Tu as dû être bien entouré et bien félicité hier, mon adoré, partout où tu es allé, pour me faire trouver la nuit moins longue. Je prêtais l’oreille à toutes ces admirations, à tous ces compliments et je trouvais, sans vanité, que je t’admirais encore plus que tous ces gens-là ensemble puisque je t’aimais de toute mon âme. Je me suis endormie sur cette pensée-là, ce qui ne m’a pas empêchée de faire de mauvais rêves toute la nuit. Ce matin, je suis toute grimaude et je sens que je ne me dériderai que lorsque je t’aurai vu. Il fait un temps ravissant, mais ce n’est pas pour mon fichu nez. Aussi je fais tous mes préparatifs pour rester chez moi. Baisez-moi, mon Toto, et aimez-moi, car je souffre bien pour l’amour de vous. Vous ne saurez jamais à quel point c’est vrai. Baise-moi, mon Victor et tâche de venir le plus tôt que tu pourras. Tu me rendras bien heureuse.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16359, f. 69-70
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) Les pages de la lettre ont été numérotées de 1 à 4. Les chiffres ont été rajoutés sur le manuscrit par une autre main que celle de Juliette.
18 avril [1845], vendredi après-midi, 2 h. ½
Je t’écris en attendant l’heure à laquelle je pourrai aller chez ma grande fillette [2]. Je viens de lire l’article du Journal d’Orléans [3]. Je le trouve parfaitement et bien parfaitement juste de tout point. Même la distinction, et surtout la distinction que l’auteur de cet article fait de L.......a [4] et de toi. C’est on ne peut pas plus vrai et on ne peut pas plus juste. Je parle un peu de ces choses-là comme les aveugles des couleurs, mais si ce n’est de science certaine, c’est au moins d’instinct qui ne me trompe pas. Du reste, il est clair comme le jour maintenant que si on avait tardé plus longtemps à te faire pair, on se serait fait lapider par le public tout entier. Le retard a été juste ce qu’il fallait qu’il fût pour chauffer l’opinion à blanc. C’est à dire que tout a été pour le mieux et que notre impatience nous est bien payée maintenant.
Je te remercie, mon Victor, de la permission que tu m’as donnée d’aller chez ma fille. Je suis sûre de leur faire à toutes les deux [5] un grand plaisir. Et puis je verrai à m’assurer par moi-même de la gravité du mal de poitrine dont se plaint ma pauvre Clairette. Je te remercie, mon Victor adoré, je ne peux pas t’en aimer plus parce que la mesure est pleine depuis longtemps et déborde. N’oublie pasb que je t’attends à dîner.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16359, f. 71-72
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) Sept points suivent la lettre « L ».
b) « n’oublies pas ».