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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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12 février [1844], lundi matin, 10 h. ½

Bonjour mon petit Toto bien aimé, bonjour mon adoré petit homme chéri, bonjour. Je baise tes doux yeux et ta ravissante petite bouche. Tu vois que j’ai suivi tes conseils, ce matin, et que je ne me suis pas levée avec l’aurore. Je l’aurais voulu que je ne l’aurais pas pu tant j’étais souffrante. J’ai le dedans des mains brûlantes et un commencement de mal de tête mais j’espère que cela se dissipera dans la journée. J’ai reçu une lettre de Claire. Elle est toujours dans le même état à peu près [1]. Nous verrons à la longue ce que fera le nouveau traitement qu’elle suit. En attendant, cela retarde et cela nuit à ses études. Cependant son bulletin cette fois est encore bon mais j’aurais voulu qu’il fût très bon. Il faut savoir se contenter à moins et remercier le bon Dieu de ce qu’il veut bien nous accorder ce peu-là.
Bonjour mon Toto adoré, bonjour mon cher bien-aimé, bonjour mon ravissant petit homme. Comment as-tu passé la nuit ? As-tu pris un peu de repos au moins ? Moi j’ai pensé à toi, toujours en rêve ou éveillée, ma pensée ne t’a pas quitté. Je crois que tu auras raison d’avoir avec Charles la conversation que tu m’as dite hier [2]. Cela lui sera très salutaire de toute façon et lui fera voir ses devoirs envers lui-même sous leur vrai jour. Il est bien malheureux qu’on soit venu troubler ce pauvre enfant dans le moment où il avait le plus besoin d’application et de tranquillité. C’est une mauvaise action dans toute l’acception du mot.
J’espère que ce que tu lui diras lui ouvrira les yeux et lui fera le plus grand bien. Je te désire de toute mon âme et puis je te baise de toutes mes forces.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 165-166
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette


12 février [1844], lundi soir, 6 h. ¾

Bonjour Toto adoré, c’est-à-dire bonsoir, vu l’heure à laquelle j’écris ce mot et surtout celle à laquelle tu le liras. J’ai bien peur que le travail de ce soir ne cache quelque affreux dîner ou quelquesa hideuses visites à des pairs plus ou moins experts dans l’art de vous attirer chez eux ? Votre chemise blanche de tantôt m’a bien l’air d’abriter une conscience noire comme le C… de votre chapeau. Toto, prenez garde à vous. Vous savez de quoi je suis capable, méfiez-vous !
J’ai vu Mlle Féau après vous, qui me rapportait un bonnet plus un petit vase empire en verre bleub pouvant contenir un bouquet de violettes qu’elle m’apportera une autre foisc. J’ai dû l’accepter pour ne pas la désobliger. Au reste, il ne lui coûtait rien, elle venait de le prendre avec trois autres du même genre chez sa tante rue Saint-Louis, ancienne fabricante de verres. Ouf ! Quelle explication ! Merci ! J’aime mieux les vôtres quels qu’ilsd soient, fussent-ils brisés, au moins je n’ai pas trois pages d’impression à écrire pour m’excuser de les avoir acceptés. Toto est bien i, Voime, voime, surtout quand il m’offre de me faire sortir un quart d’heure en quinze jours de réclusion forcée. Vraiment les prisonniers du Mont Saint- Michel [3] sont des oiseaux en liberté à côté de moi. Aussi vous ai-je refusé avec une noble indignation. Je suis encore la Juju primitive qui refusait de mordre dans sa tartine sous prétexte qu’elle n’allait pas depuis ses pieds jusqu’à sa tête. En fait de bonheur il m’en faut encore plus que ça.

BnF, Mss, NAF 16354, f. 167-168
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

a) « quelleques ».
b) « bleue ».
c) « autrefois ».
d) « quelqu’ils ».

Notes

[1Claire souffre maux de tête et d’estomac incessants. Un autre médecin lui a ordonné un nouveau traitement.

[2À élucider.

[3Le Mont Saint-Michel, connu dès le Moyen Âge pour être un lieu de détention des victimes de l’arbitraire du roi, devient à proprement parler en 1842 une prison qui accueille bon nombre de prisonniers politiques. Juliette et Hugo avaient visité le Mont Saint-Michel au cours de leur voyage en Normandie, durant l’été 1836.

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