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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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26 décembre [1842], lundi matin, 11 h. ½

Bonjour, mon cher bien-aimé. Bonjour mon amour adoré, comment vas-tu, comment m’aimes-tu ? Justement te voici, quel bonheur ! … Bonheur bien court, et qui n’a pas duré plus longtempsa que l’espace de ces trois points entre les deux mots qui l’expriment. Enfin, il vaut mieux ça que rien et je suis très heureuse dans ce moment-ci, très heureuse surtout si tes douleurs d’entrailles ne sont pas sérieuses et si elles te quittent bientôt. Pour cela, mon adoré, il faudrait suspendre un peu ton travail et prendre quelque repos. Mais, comme un fait exprès, tu es assailli d’affairesb dans ce moment-ci plus que jamais. Tout s’adresse à toi. Tout retombe sur toi, tout t’arrive à la fois. En vérité, je ne sais pas comment tu y tiens. Tu devrais tâcher cependant de mettre un peu de ces affaires de côté car enfin, quand tu seras malade, tu seras bien forcé d’arrêter ton activité. Pourquoi attendre ce malheur là ?
Je te dis tout cela, mais tu ne m’écoutes pas plus que rien du tout. Enfin, à la grâce de Dieu et que ta volonté soit faite. Presque chaque fois que tu viens, tu me trouves en train de t’écrire, mon Toto chéri. Si tu pouvais voir mon cœur comme tu vois ma personne, tu verrais qu’il n’y a pas une minute de ma vie qui ne soit à toi. Je ne m’occupe que de toi, je n’aime que toi, je ne vis que pour toi, c’est bien vrai. Il faudra pourtant me donner ce laissez-passez [1], mon Toto. Je veux aussi aller vous surprendre et faire un exemple terrible devant tous ces histrions dans le cas où vous me feriez des traits. Voilà ma MAXIME [2] à moi. Elle vaut bien la vôtre, je crois. En attendant, je vous fais surveiller, soyez tranquille. Et si je vous attrape à faire le beau avec n’importe quoi, vous verrez un peu de quel pied je me mouche. Baisez-moi, aimez-moi, je vous adore. Je vais me dépêcher de me lever, de faire faire mon ménage et de me débarbouiller pour recevoir la L…. [3] sous les armes. Voime, voime. Il y a bien de quoi, ma foi. J’aimerais mieux autre chose. Enfin, c’est égal, je vais me dépêcher tout de même. Tâchez d’en faire autant de votre côté pour moi et je ne vous attendrai pas si longtemps. Baisez-moi, cher petit homme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 325-326
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) « long-temps ».
b) « affaire ».


26 décembre [1842], lundi soir, 10 h. ¾a

Tu n’as pas pu te dispenser d’aller chez le chancelier, mon Toto, puisque je ne t’ai pas vu depuis tantôt ? Je t’avais pourtant bien prié de n’y pas aller et de venir me prendre pour marcher un peu ce soir [4]. Voici que je recommence à reprendre mes maux de tête quotidiens. Je n’en peux plus. Ce soir, il y a cinq semaines passées que je n’ai mis le pied dans la rue ! Je ne parle pas d’autre chose qu’il y a encore beaucoup plus longtempsb que je n’ai fait et qu’on ne m’a pas fait. Tout cela se convertit en affreux maux de tête et en douleurs d’estomac. Pour me récompenser, je t’ai vu deux fois aujourd’hui, c’est à dire un peu moins d’une minute et demie en tout. C’est charmant ! Quand donc serai-je assez vieille pour ne plus souffrir du manque d’air et du manque d’amour ? J’attends ce moment avec impatience et quoique tu prétendes : qu’au cœur on n’a jamais de rides [5]. J’espère que le mien sera tellement racorni et ratatiné à force de souffrir qu’il ne sentira bientôt plus rien. En attendant, je vois Desmousseaux, je parle chicane avec lui et je suis très heureuse.
Lanvin est venu ce soir et m’a apporté deux exemplaires in-dix-huit [6]. Il avait gardé l’exemplaire in-octavo [7] chez lui parce que j’avais marqué dans ma lettre à sa femme que je la chargerais de le faire emballer. Cependant, j’enverrai chercher le premier volume afin que tu écrives quelque chose dessus car je te réponds que pour ce pauvre allemand [8], ce sera là le véritable cadeau. Mme Lanvin, qui était allée voir Claire, a rapporté une lettre qu’elle a donnée à son mari pour me la remettre. Elle est très gentille, tu la verras tout à l’heurec. TOUT à L’HEURE si Dieu, les affaires, le monde et la famille le permettent. Enfin, il faut toujours en revenir au même point de départ, c’est à dire à t’attendre éternellement.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 327-328
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) La date est indiquée sous la forme : « lundi 26 dédcembre 10 h. ¾ du soir ».
b) « long-temps ».
c) « heur ».

Notes

[1Victor Hugo aurait promis à Juliette un laissez-passer pour aller au théâtre voir Les Burgraves qu’il est en train de faire répéter. Il n’est pas précisé si le laissez-passer est pour la première représentation ou pour un autre événement.

[2Jeu de mot sur le nom de Mlle Maxime, actrice répétant le rôle de Guanhumara (qui lui sera retiré en janvier 1843).

[3À élucider.

[4Dans le cadre des « conventions » du couple, Juliette ne sort jamais de chez elle sans Victor Hugo à cette période-là de leur vie.

[5Citation de Hernani (Acte III, scène 1), dite par Don Ruy Gomez de Silva : « Nous aimons bien. Nos pas sont lourds ? Nos yeux arides ? / Nos fronts ridés ? Au cœur on a jamais de rides. ».

[6Indique un format de livre dont la feuille d’impression est pliée en dix-huit feuillets et forme un cahier de trente-six pages (Source : TLF).

[7Indique un format de livre dont la feuille d’impression est pliée en huit feuillets et forme un cahier de seize pages (Source : TLF).

[8Désigne le beau-frère de Juliette, Louis Koch, d’origine allemande. Juliette lui fait envoyer un exemplaire des œuvres complètes de Victor Hugo.

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