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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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8 novembre [1842], mardi après-midi, 3 h. ¾

Je viens d’écrire à Jourdain, à Mme Pierceau et à ma lingère qui depuis deux mois ne me rend pas les bonnets qu’elle a à blanchir à moi. J’ai remis de nouveau la Cocotte en pénitence pour m’avoir mordue deux fois au sang le doigt et la lèvre. Décidément, sa passion pour l’académicien la rend féroce envers le pauvre sexe. Si cela continue, je la laisserai continuellement en retenue pour lui apprendre l’affabilité et le savoir vivre en société. Je n’ai pas encore pu songer à ma toilette depuis que tu es parti. Je ne sais pas comment font les autres femmes qui travaillent, qui sortent, et qui trônent dans leur intérieur et ailleurs. Moi je ne fais rien, je sors très peu et je suis toujours en souillon chez moi. Décidément, les affaires de cœur prennent trop de place dans la vie et en laissent trop peu pour les autres. Je suis d’avis qu’il ne faut rien aimer dans ce monde et dépouiller l’invalide le plus possible dans toutes les conditions possibles. Je ris mais je n’en ai pas envie car je pense à quelle révélation de l’improbité de cette affreuse servarde a du faire de ravage sur ce pauvre malade déjà si affaibli par la maladie [1]. Je voudrais que la mère Lanvin fût déjà de retour pour savoir comment il a passé la nuit et où il en est avec ce monstre hideux. Je désire, puisque le mal est irréparable du côté de l’intérêt, qu’elle lui soit assez indifférente pour supporter ses soins jusqu’à la fin car ce n’est pas dans ce moment-ci que le pauvre vieillard peut se passer des soins quotidiens auxquelsa il était habitué depuis si longtempsb. Je désire donc de tout mon cœur que de quelque façon, cela s’arrange, cette stryge [2] reste auprès de mon père jusqu’à la fin.
Je t’aime, mon Victor adoré. Je t’aime de toute mon âme. Quand te verrai-je, bientôt, n’est-ce pas ? Je t’attends et je te désire de toutes mes forces et encore plus. Je baise vos petites pattes.

Julilette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 205-206
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) « auquel ».
b) « long-temps ».

Notes

[1Une dispute a éclaté deux jours auparavant entre Juliette et la compagne de son oncle, René-Henry Drouet. Celui-ci, qu’elle considère comme son père, est gravement malade.

[2Stryge : monstre mythologique à tête de femme et, par extension, sorcière.

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