Paris, 10 décembre [18]77, lundi soir, 7 h. ½
Tu ne te doutes pas, mon pauvre bien-aimé, à quel degré d’agacement je suis arrivée depuis la rentrée du Sénat. Cette attente d’un grand malheur ou d’une grande délivrance qui basculent sans jamais s’arrêter et sans aboutir à rien est une des choses les plus énervantes qui soit et je crois que si cet état se prolonge encore quelques jours, j’en tomberai malade.
Je n’ai rien compris à ta non-sortie du Sénat ce soir quand il paraissait avéré qu’il n’y restait aucun sénateur [1]. Jules Simon, qui m’a mise en tramway et en wagon, m’assurait qu’il n’y avait plus personne dans la salle des séances, ce que j’avais constaté par moi-même. Enfin Lapommeraye, qui m’a donné le bras de la gare ici, paraissait également surpris de ton absence et l’attribuait à une visite de curiosité à la Chambre. Tout cela ajouté à la fatigue d’une séance bredouille, m’avait mis de la belle humeur où tu m’as trouvée tout à l’heure et dont je te demande pardon. J’espère que la journée de demain fera quelque heureuse diversion à ce statu quo démoralisant et odieux. En attendant, mon adoré, je ne veux pas te quitter d’une semelle et je t’accompagnerai demain corps, cœur et âme.
BnF, Mss, NAF 16398, f. 334
Transcription de Guy Rosa