Paris, 2 novembre [18]77, vendredi matin, 11 h. ¾
Quel temps, mon cher bien-aimé ! on dirait le mois de mai, moins les fleurs et moins la gaîté, car si le soleil luit au ciel aujourd’hui, il y a bien des larmes dans beaucoup d’yeux et de la tristesse dans bien des âmes. Je regrette que tu n’aies pas pu me conduire à Saint-Mandé tantôt. J’aurais aimé à prier sur ma chère tombe [1] pour toutes nos chères âmes d’en-haut et pour toutes celles d’en bas dont la vie t’intéresse, dont le bonheur est ta préoccupation, pour tes bien-aimés petits-enfants, pour la France et pour toi qui es sa gloire et son flambeau et pour moi qui t’adore. Malheureusement cela n’est pas possible aujourd’hui à cause de l’échéance à date fixe de ton second volume Histoire d’un crime, mais dès que tu seras hors de ce prodigieux labeur et de la bagarre politique dans laquelle Mac-Mahon s’empêtre de plus en plus, je te prierai de me mener au cimetière de Saint-Mandé. Je ne sais pas pourquoi je crois que tout ton cher petit monde arrivera demain dimanche. La prudence, à partir de demain, serait de réserver leur place à ta table. Quant à moi, je ferai tout mon possible pour cela. En attendant le bonheur de les revoir, je t’adore de toute mon âme.
BnF, Mss, NAF 16398, f. 297
Transcription de Guy Rosa