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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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22 mai 1842

22 mai [1842], dimanche matin, 9 h. ¾

Je viens de recevoir ta lettre bien attendue et bien désirée, mon Toto bien-aimé, la voici enfin et je t’en remercie du fond de l’âme pour tout ce qu’elle contient de bon, de doux, de tendre et d’affectueux [1]. Je voudrais m’arrêter ici pour ne pas ajouter un reproche si près de la reconnaissance que je te dois pour cette bonne lettre adorée. Mais, et c’est ce mais correctif que je voulais retenir et qui m’échappe malgré moi, pourquoi ne m’avoir pas donné une pauvre petite matinée d’amour à l’occasion de cette pauvre fête qui n’arrive pourtant qu’une fois dans l’année et pour laquelle tu aurais eu le temps, si tu l’avais voulu autant que je te désirais, écouler ou avancer un travail quelconque ? Hélas ! mon adoré, les belles et les bonnes lettres ne font pas le bonheur pas plus qu’un portrait, même ressemblant, n’est la vie. Ma main dans tes cheveux me donne plus de sécurité et de confiance que tu es à moi que toutes les protestations sur le papier. Ton regard arrêté sur le mien me dit plus éloquemment que tous les compliments charmants que je ne te déplais pas, un baiser de ta bouche me persuade plus que je suis aimée qu’un million de baisers sortis du bec de ta plume enfin une minute de ta vie dans la mienne y verse plus de bonheur que tous les torrents de ton génie si sublime et si doux.
Cela ne veut pas dire pourtant, mon adoré, que je n’aie pas reçu ta lettre avec joie, que je ne l’aie pas lue à genoux et que chacun des mots qu’elle contient n’aient pas été caressés des lèvres, des yeux et de l’âme. Mais cela [veut dire  ?] que si au lieu d’elle ç’eût été toi j’aurais été la plus heureuse des femmes sans réticences, sans restrictions, sans mais et sans tous ces mots hideux qui servent à dire qu’une pauvre Juju est triste et qu’elle souffre de ne pas avoir vu son Toto. J’ai une crainte atroce que tu ne sois allé ce matin avec toute ta famille aux Roches, ce qui m’explique ton absence mais ce qui ne me comble pas au contraire, car au lieu d’avoir l’espoir de te voir peut-être tout à l’heure, j’ai l’affreuse certitude de t’attendre jusqu’à minuit. Tu comprends mon cher adoré qu’il m’est impossible, avec toute la bonne volonté du monde, d’être heureuse aujourd’hui ; tout ce que je peux faire, avec le secours de ta lettre ravissante, c’est d’être moins malheureuse. C’est à quoi je m’applique mon toto chéri, mais un baiser de toi ferait mieux l’affaire que toute la raison et tous les raisonnements dont je suis incapable.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16349, f. 67-68
Transcription de Ophélie Marien assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Datée du 21 mai 1842, jour de la Sainte Julie, cette lettre comprend notamment cette déclaration : « […] tu es ma joie, mon espérance, mon but, ma récompense, mon orgueil […]. Je t’aime plus que jamais. Je ne pourrais pas plus comprendre la vie sans toi que le ciel sans Dieu. […] ». Victor Hugo, Lettres à Juliette Drouet, édition de Jean Gaudon, p. 122.

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