Guernesey, 10 août, [18]70, mardi après-midi, 1 h. ¾
Quellesa seront les nouvelles aujourd’hui, mon pauvre grand bien aimé ? Qui peut le savoir par ce temps de ténèbres artificielles qui couvrent la France en ce moment-ci [1]. Personne ne pourrait le dire avec certitude puisque la bouche de la France est bâillonnée [2]. Merci, mon adoré, de t’être servi de Louis [3] pour m’envoyer des nouvelles de ton Charles et de la France. Je connaissais déjà celles qui concernent cette dernière par mon neveu qui avait lu, affiché hier à Granville, le télégramme qu’on t’envoie aujourd’hui [4]. Télégramme qui témoigne du patriotisme alarmé des Français sans rien atténuer, hélas ! des désastres militaires que nous connaissons et qui sont navrants pour le moment [5]. Je ne vois pas pour toi d’autres mesures à prendre que d’attendre dans l’angoisse d’une passivité apparente le résultat de cette terrible lutte enragée d’armée à armée. Résignation poignante s’il en fût quand on a comme toi le cœur débordant de dévouement et l’amour de l’humanité sublime et divin. Je dégage difficilement ma pensée de mon émotion, mais tu es tellement habitué à lire couramment dans mon esprit et dans mon cœur que je ne m’occupe pas des ânonnements de ma plume. Je te plains, je t’admire, je t’aime et je t’adore.
BnF, Mss, NAF 16391, f. 217
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette
[Souchon, Massin]
a) « Qu’elles ».