Paris, 25 mai [18]72, samedi soir, 4 h. ¼
Je compte sur toi, mon adoré, pour me remettre un peu de cœur au ventre. Depuis ce matin je [un ou deux mots rendus illisibles par la diffusion dans le papier de l’encre de la rature au verso] un malaise général qui m’ôte tout entrain. J’espère que la joie de te revoir me ravigotera de fond en comble. Je n’ai pas eu de nouvelles des enfants aujourd’hui mais j’espère qu’ils vont bien et qu’ils doivent sourire au souvenir de leur petite fête d’hier. Ce soir nous avons [trois lignes énergiquement barrées] pour les deux petits dans le cas où tu voudrais les amener ce soir. Reste la question sommeil et hygiène qu’on pourrait résoudre très facilement en avançant le dîner d’une heure et en ayant une chère moins montée en épices. Malheureusement, comme toutes les choses faciles à faire, ce sont celles qu’on ne fait pas du tout. Et voilà pourquoi notre fille est muette [1] et que Petite Jeanne pleure [deux ou trois mots illisibles] et que moi je crie dans ce désert sans être écoutée et je suis malheureuse de ta tristesse ; d’autant plus malheureuse que je n’y peux absolument rien. Cette conscience de mon inutilité me décourage plus que je ne puis dire. Et je me surprends souvent à souhaiter d’être débarrassée d’une vie qui ne peut plus servir à rien ni à personne, pas même à moi. Tu vois que je n’ai pas le découragement gai, mon pauvre bien-aimé, mais c’est encore de l’amour et du meilleur.
BnF, Mss, NAF 16393, f. 145
Transcription de Guy Rosa