3 mai [1843], mercredi matin, 9 h.
Bonjour, mon Toto bien-aimé, bonjour mon cher adoré petit homme, comment vas-tu ce matin ? Moi je t’aime, voilà ma santé et ma vie. Je me dépêche pour être prête à l’heure dite. Voilà déjà longtemps que je suis éveillée. J’ai compté ma dépense et j’ai écrit mon linge à la blanchisseuse pour tantôt. Je ne veux rien laisser derrière moi afin de profiter d’un moment de promenade si tu as le temps de me le donner. Sinon je rentrerai et je travaillerai un peu à mes zaillons [1].
Je ne sais pas pourquoi je n’éprouve pas de vraie joie à aller chercher ce passeport ? Je crains que ce ne soit un leurre pour me faire bonne bouche pour quelque mystification prochaine qu’on me fera avaler. J’ai été si attrapéea depuis plus de deux ans à l’occasion de ce voyage que je n’ai plus la moindre confiance dans les promesses. Je ne commencerai à croire que lorsque j’aurai mis mes quatre pattes dans la diligence quelconque qui devra nous emporter bien loin d’ici. Mais d’ici là, je conserverai mon incrédulité et mon découragement. Ce n’est pas de ma faute et j’aimerais mieux ma confiance passée qui me donnait le bonheur par anticipation que cette défiance qui m’ôte jusqu’au plaisir d’espérer. Je le répète, ce n’est pas de ma faute mais celle des deux affreuses années qui viennent de s’écouler. Mon petit Toto chéri, je vous aime de toute mon âme mais j’ai le cœur bien triste depuis longtemps. Cela va même souvent jusqu’au désespoir et jusqu’au dégoût de la vie. Pardonne-moi, mon Victor bien-aimé, cet excès d’amour qui, comme tous les excès, est un défaut.
Je baise tes belles petites mains, tes beaux cheveux et ta ravissante petite bouche. Je voudrais mourir pour toi pour de bon et pour de vrai.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16352, f. 91-92
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette
a) « attrappée ».