Guernesey 30 avril [18]70, samedi matin, 6 h. ½
Bonjour, mon cher grand bien-aimé, sois béni, je t’adore. Voilà plus de trente-sept ans que je te donne quotidiennement toutes mes pensées, tout mon cœur et toute mon âme sous cette forme tendrement monotone ; puisses-tu n’en n’être pas plus blasé que moi qui y trouve encore, si c’est possible, plus de bonheur de jour en jour que la première fois de mon premier bonjour. Je sens que je te dis mal cela mais tu me comprendras tout de même, c’est l’important. Comment s’est passée ta nuit, mon doux adoré ? J’espère que la pluie que tu as reçue hier n’aura pas augmenté ta douleur ? En attendant que j’en sois sûre, je pense aux admirables pages contre ce plébiscite sournoisement scélérat que tu as eu la bonté de nous lire hier ! Quel dommage que la France toute entière n’ait pas pu entendre comme nous tes paroles indignées, formidables, foudroyantes et superbement sublimes ! Il ne serait plus question aujourd’hui de plébiscite ni de son auguste FAMILLE pas plus que si le Bonaparte III n’avait jamais existé [1]. C’est que tu as dans la voix, dans le regard, dans la majesté de toute ta personne une puissance charmeresse, magnétique et irrésistible qui convaincrait les esprits les plus obtus et les plus consumés, les plus réfractaires. Je t’admire, je te vénère, je t’aime et je t’adore.
BnF, Mss, NAF 16391, f. 121
Transcription de Jean-Christophe Héricher assisté de Florence Naugrette