Paris, 27 juillet [1880], mardi matin, 8 h. ½
Cher bien-aimé, comme le pourpoint de Don César [1] « je lutte », ce qui ne m’empêche pas de sentir la trame de mon gilet s’amincir de plus en plus et toutes les loques de ma vie s’éparpiller aux quatre vents de l’horizon. Ce matin je suis lamentablement patraque, je croyais même ne pas pouvoir me tenir debout car je me suis recouchée deux fois sans pouvoir parvenir à me lever tout à fait. Sérieusement, mon cher bien-aimé, tu dois songer à me remplacer dès à présent si tu ne veux pas te trouver dans les embarras de charrettes du ménage, ce qui, modestie à part, ne te seras pas difficile. Je t’en avertis honnêtement sans amertume, mais non sans regret, car Dieu sait que j’aurais voulu te servir jusqu’au bout ; mais puisque la nature s’y refuse il faut bien me résigner. Quant à toi, mon cher bien-aimé, tu trouveras bien vite des dévouements plus effectifs et plus aimables que le mien qui n’a jamais été autre chose que l’amour d’un cœur à présent bien malade.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16401, f. 203
Transcription d’Emma Antraygues et Claire Josselin