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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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13 décembre [1835], dimanche matin, 10 h. ½

Bonjour, mon petit homme chéri, comment vas-tu ce matin, m’aimes-tu ? As-tu bien dormi, viendras-tu bientôt ? Moi, j’ai très bien dormi, je vous aime très bien et je vous désire de toutes mes forces.
Je suis dans un nuage de fumée, de par lequel je ne distingue pas les lettres que je trace. Je pleure, je rugis, je maudis la propriétaire et son auguste famille.
Vous savez, mon petit homme chéri, que vous m’avez promis depuis bien longtemps de dîner avec moi. J’attends avec bien de l’impatience ce jour-là qui me donnera une soirée toute entière avec vous.
Mon cher bien-aimé, il m’a semblé qu’hier au soir tu étais triste, et que tu m’aimais moins. J’espère m’être trompée sur les deux choses, car je ne t’ai rien fait pour être triste et je t’aime plus que jamais je ne t’ai aimé. Donc tu n’as pas de raison pour avoir ni l’un, ni l’autre de ces deux sentiments avec ta pauvre Juju qui met toute sa joie dans ton sourire, tout son bonheur dans un de tes baisers. Quand je te verrai tantôt, je te baiserai de toute mon âme, et partout, et je vous forcerai bien à être heureux et geaie comme une oie. Maintenant, il s’agit que vous veniez très tôt, tréteaux, ça ne vous est pas facile à vous. Oh ! si c’était moi ! C’est que je vous aime, moi. Voilà le grand secret.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16325, f. 213-214
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette


13 décembre [1835], dimanche soir, 8 h.

Mon cher petit homme, je t’aime. Mon cher petit Toto, je vous adore. Si tu es bien gentil, tu viendras te coucher tout de ton long auprès de moi. Si vous n’êtes qu’à demi aimable, vous viendrez me prendre pour aller voir jouer le vieux bonhomme dans le rôle d’Henriette [1]. Et si vous êtes un monstre barbare, vous ne viendrez que trop tard après avoir bien fait désirer et enragera votre pauvre victime cloîtrée [2]. Je crains d’autant plus que vous ne veniez tard, que vous êtes ce soir fraîchement barbifié, et que l’imprudente Mme Richi vous ayant fait connaître à quel point vos avantages physiques sont développés, vous n’ayez la fatuité de faire admirer vos grâces aux élus de votre cercle, auquel cas la pauvre Juju courraitb grand risque de n’avoir pas d’autre feu de la soirée que celui de sa cheminée, d’autre figure que sa pincette, d’autre conversation que la Minerve et le Moniteur du Commerce, généralement peu amusants et par habitude fort assommantsc.
Vous voyez, mon cher petit Toto, qu’il est vraiment impossible de m’abandonner sans inhumanité à ma société de tous les soirs et qu’il est de votre devoir de philanthroped et d’amant de venir à mon secours, car je vous aime de toutes mes forces.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16325, f. 215-216

Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « avoir fait désiré et enragé ».
b) « courerait ».
c) « assomants ».
d) « philantrope ».

Notes

[1Les Femmes savantes, comédie en cinq actes et en vers, de Molière, est alors représentée au Théâtre-Français. Le rôle d’Henriette est tenu par Mademoiselle Mars, que Juliette Drouet surnomme « le vieux bonhomme ».

[2Les Victimes cloîtrées, drame de Monvel (représenté pour la première fois au Théâtre de la Nation, 1791).

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