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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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19 mars 1842

19 mars [1842], samedi matin, 11 h. ½

Bonjour mon cher petit bien aimé, bonjour mon petit homme chéri : pourquoi n’es-tu pas venu, mon Toto, ce matin ? Nous n’avions cependant rien à faire ni rien à craindre et j’aurais été bien heureuse. Tu travailles, mon pauvre petit homme, je le sais bien, mais je sais bien aussi que je t’aime et que j’ai besoin de te le dire autrement qu’avec du noir sur du blanc, comme je le fais dans ce moment-ci. D’ailleurs, j’ai besoin de vous pour ma santé, c’est un topique souverain pour moi que votre vue [1]. Un baiser de votre bouche rose c’est le paradis (que vous ne me prodiguez pas par parenthèse.) Baisez-moi, mon cher amour, je ne veux pas vous grogner, au contraire, je veux vous caresser et vous prier du fond de l’âme de m’aimer un peu.
Il fait bien beau ce matin, je ne sais pas si ça durera ni s’il fait chaud dehors, car je t’écris de mon lit où je suis encore pour ne pas me refroidir et pour économiser un peu de bois. Dans le cas où tu croirais devoir me faire sortir et où tu le pourrais, je serai prête à l’heure. Ma pendule avance de près d’une heure et demie, ainsi tu vois que je ne serai pas en retard [2].
Je vous aime, mon Toto, je ne veux pas que vous mangiez si vite vos poires au moment de me quitter. Pardi, vous avez bien le temps de me quitter et vous serez toujours assez vite parti nonobstant votre impatience. Une autre fois, c’est moi qui vous les ferai manger et qui me ferai durer le plaisir longtemps. Je vous en réponds. Jour Toto, jour mon petit O : donnez-moi votre petit museau que je le baise en attendant MIEUX. Je n’ai pas pensé à te demander quel endroit de ta botte il fallait élargir ? Sur le petit doigt probablement ? Et puis j’espère que je te verrai d’ici à tantôt, c’est bien le moins mon Dieu, et alors je te le demanderai.
En attendant, mon amour, je vous aime, je vous désire et je vous adore. Venez aussi vite que vous mangez et je vous pardonne tous vos trines. Baisez-moi, toi et aimez-moi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16348, f. 177-178
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette


19 mars [1842], samedi après-midi, 1 h. ¾

Le temps vous sert à souhait, affreux scélérat, convenez-en. Je m’étais dépêchée pour profiter d’une bonne volonté et d’un beau temps s’il y avait lieu et voilà que ce hideux soleil me fait faux bon et vous donne le droit de vous parer d’une bonne intention que vous n’avez probablement pas. Décidément, je suis une femme bien à plaindre. Taisez-vous, taisez-vous, brigand. Je vais travailler à mes chemises de flanelle et ne plus penser à vous, ça vaudra bien MIEURE. Avec ça, que c’est commode et facile de ne plus penser à vous. Mon Dieu, dans quel affreux guêpier je suis tombée. Aha ! si jamais je rattrapea mon cœur de vos griffes, vous verrez un peu ce que j’en ferai.
Où êtes-vous, que faites-vous, qui regardez-vous et qui aimez-vous ? Quatre questions qui m’occupent le jour et la nuit et dont j’achèterais la réponse à la dernière de tousb mes membres les uns après les autres et de ma vie par-dessus le marché.
J’espère, mon Toto, que tu me donneras la joie d’entendre ta pièce avant tout le monde [3] ? Depuis neuf ans tu n’y asc jamais manqué, mon amour bien aimé, et tu me mettrais au désespoir si tu ne le faisais plus à présent. Je m’en fais une fête, une joie, un bonheur, je voudrais que ce fût ce soir. Je t’aime mon Victor adoré.

[Samedi 19 mars, 1842], 5 h. ½ du soir

Merci, mon Toto adoré, merci des deux bonnes heures que tu m’as donnéesd tantôt, merci du fond de l’âme. J’aurais voulu qu’elles aient pu s’étirer et s’allonger de deux mois en plus mais le bonheur ne prête pas jusqu’à convertir deux heures en deux mois et c’est bien dommage, convenez en. Pauvre bien aimé, sois béni. Je t’aime et je t’adore. Prends garde de te laisser mouiller, mon amour, avec tes petits escarpins. À propos, le Dabat avait oublié son parapluie, il est revenu le chercher tout à l’heure et je lui ai donné les bottes [4]. Tu les auras demain ou lundi, en attendant, prends bien soin de toi mon Toto et aime-moi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16348, f. 179-180
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette

a) « rattrappe ».
b) « tout ».
c) « a ».
d) « donné ». 

Notes

[1Après avoir été malade au mois de février et en convalescence depuis début mars, Juliette est enfin rétablie.

[2Elle fait mention de sa pendule défectueuse à de nombreuses reprises dans sa correspondance, il s’agit sûrement d’un « défaut » intentionnel de sa part.

[3On peut penser que Victor Hugo a entamé l’écriture de la pièce Les Burgraves avant la date qui nous est connue, à savoir entre août et septembre 1842.

[4Dans la matinée, Victor Hugo a confié ses bottes à Juliette pour qu’elle les fasse élargir chez le bottier Dabat. En attendant, il utilise des souliers qui ne sont pas du tout adaptés à la saison et Juliette s’inquiète qu’il prenne froid.

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