6 juillet 1840

6 juillet [1840], lundi soir, 5 h. ¼

Je vous aime, mon Toto bien-aimé, vous m’avez fricassé ma fleur mais je vous aime. Ne grognez plus je vous pardonne. Je n’ai pas pu retenir ma tristesse sur la mort violente de cette pauvre belle fleur qui me réjouissait l’œil mais à présent la douleur est passée, je n’ai plus que de l’amour et de l’adoration dans l’âme. Ne soyez pas triste, je vous aime. Voici mon blanchisseur, il attendra que je vous aie écrit tant pire. Je veux que vous m’apportiez toutes les fleurs de votre jardin, les belles et les laides. Il suffit que vous me les apportiez pour que je les trouve ravissantes. Ce n’est pas le bouquet que je vois^a c’est votre complaisance charmante, c’est votre galanterie, c’est la preuve que vous avez pensé à moi enfin, et tout cela me ferait trouver^b beau un balai de bouleau^c séché si vous me l’apportiez en guise de bouquet. Ainsi, mon Toto, tant que tu le pourras et tant qu’il y aura un spectre de fleur dans ton jardin, apporte-le moi je le taillerai, je le niferai, je l’admirerai, je le sentirai et je le respirerai avec délices. Je n’ai pas le temps de lire les journaux, il faut que je profite des grands et beaux jours pour remettre mon linge et mes hardes en ordre, avec cela que j’ai de surcroît cette affaire des papiers. Il faut aussi que je t’arrange ta ceinture qui revient de la blanchisseuse ce soir. Enfin je t’assure que je ne m’amuse pas et que j’ai fort à faire. Jour Toto, je vous aime, je vous adore. Vous m’avez assassiné une fleur, scélérat, mais je commue votre peine de mort à dix mille baisers sous la plante des pieds. Soyez très content, très heureux et très i car je vous adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16343, f. 13-14
Transcription de Chantal Brière

a) « voie ».
b) « trouvé ».
c) « boulleaux ».