Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1840 > Juin > 1

1er juin 1840

1er juin [1840], lundi soir, 6 h. ¾

Je t’écris en compagnie de Résisieux, mon amour, mais cela ne me donne pas de gaieté, que j’ai perdue depuis ce matin. Cette femme et son insistance m’ennuienta et m’irritentb plus que je ne puis dire [1]. Quand je pense à la claustration dans laquelle je vis, quand je sens l’amour dévoué et sans borne que j’ai pour toi je suis indignée jusque dans le fond de l’âme que de misérables coureuses osent jeter leurs sales envies sur un amour qui fait le culte et l’adoration de toute ma vie. Si je m’écoutais je ferais un exemple terrible de cette gourgandine et de son immonde caprice et nulle, d’ici à longtemps, n’oserait tenter votre conquête. Je souffre depuis ce matin. Je me trouve laide, vieille, bête et déguenillée, tout cela parce que je tremble pour mon amour, parce que j’ai peur pour mon pauvre petit morceau de bonheur. Hélas, hélas, mon Toto, je vous aime trop. Je suis folle.
J’espérais qu’une fois ton monde installé à la campagne [2] tu me ferais sortir quelquefois avec toi. Mais c’est tout le contraire. Depuis un mois je suis sortie une seule fois avec toi, je ne compte pas les deux soirées du spectacle où je vais et reviens en voiture, ce serait une cruelle et mauvaise plaisanterie que de me les compter comme sortie. Je souffre, le sang se porte à ma tête et au cœur mais cela t’importe peu. Je ne ferai pas mes comptes de fin de mois ce soir. J’ai trop mal à la tête, demain je ne dis pas. J’ai eu le blanchisseur que j’ai payé. J’aurai probablement l’épicier que je ne paierai pas, par exemple, à moins que tu n’aies dévalisé quelque voyageur ce soir. En attendant je vous aime mon Toto. Voici qu’on m’annonce le dîner prêt pour 7 h. Je ne serai pas aussi heureuse qu’hier, tu ne viendras pas dîner avec moi. Il est vrai qu’aujourd’hui je suis seule et que je pourrais savourer mon bonheur tandis qu’hier c’est à peine si j’ai pu en goûter un petit brin avec toutes ces femelles.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16342, f. 181-182
Transcription de Chantal Brière
[Guimbaud]

a) « m’ennuie ».
b) « m’irrite ».

Notes

[1On ne sait de qui Juliette est jalouse.

[2La famille Hugo s’est installée au château de la Terrasse à Saint-Prix pour l’été.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne