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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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27 février [1840], jeudi après-midi, 1 h. ¼

Bonjour mon cher petit bien-aimé, bonjour mon Toto chéri. Je suis bien souffrante et bien grimaude ce matin si ce n’avait été à cause de ma fille je ne me serais pas levée. J’ai un mal de tête féroce et dans toutes les parties du corps une courbature et un malaise insurmontable. Il fait pourtant un temps délicieux et je t’aime de toute mon âme. Deux raisons qui devraient me donner la santé et le bonheur mais tout ce qui doit ne paie pas, j’en sais quelque chose et mes créanciers aussi. Baise-moi mon petit bien-aimé, je ne te presserai pas beaucoup pour me mener au théâtre ce soir car je suis vraiment fort malade. Je t’écris auparavant le déjeuner, j’ai voulu faire ta tisanea, débarbouiller Claire et lui apprendre les nouveaux soins [1] qu’elle doit avoir de sa personne auparavant de déjeuner dans la crainte de n’avoir pas le courage de le faire après. C’est demain matin que le père Lanvin doit la venir chercher, tu décideras tantôt si je dois la garder le temps de cette petite maladie ou bien si je dois la renvoyer à la pension sans autre précaution que celle d’écrire à Mlle Hureau. Tu décideras cela tantôt avec moi. D’ici là, je vais bien te désirer, t’adorer et te baiser en image et en imagination. Vous êtes mon cher petit homme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 206-207
Transcription de Chantal Brière

a) « tisanne ».


27 février [1840], jeudi soir, 4 h. ¾

Mais vous êtes un vieux malhonnête, Toto, vous me dites tous les jours que je suis vieille, que je suis laide, que je suis dégoûtante et ennuyeusea. Si vous croyez que ça m’arrange, vous vous trompez furieusement. D’abord je suis malade, ensuite je vous aime, deux calamitésb qui en défigureraient bien d’autres. Je vais tâcher de me guérir le cœur et l’âme et d’être très jolie, nous verrons comment vous prendrez cela. En attendant je viens d’écrire une lettre à Mme Lanvin et une autre à Mlle Hureau. Nous tâcherons de ramener Claire à la pension le plus tôtc possible, c’est-à-dire dans deux ou trois jours, c’est convenu. Je n’ai pas encore lu le feuilleton du Siècle parce que je veux savourer, déguster et distiller cela [2]. C’est mon bonheur majoré et mon ravissement que de voir tomber sur la carcasse de ces vieillards [3] stupides, asthmatiquesd et goutteux, cette fois-ci surtout qu’ils le méritent si bien. Vous ne m’avez pas regardé tantôt, méchant homme, cependant je m’étais mise toute ébouriffée à la fenêtre pour vous voir plus longtemps. Vous ne méritez pas l’amour que j’ai pour vous. Soyez tranquille si une fois je me mets à ne plus vous aimer vous en VERREZ DES CRUELLES. Hélas ! j’ai bien peur que ce temps n’arrive jamais et que je sois toujours comme aujourd’hui le pauvre chien qui vous aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 208-209
Transcription de Chantal Brière

a) « ennuieuse ».
b) « calamitées ».
c) « plutôt ».
d) « asmathiques ».

Notes

[1La lettre de la veille annonce à Hugo que Claire est « devenue femme ».

[2Dans le feuilleton de La Presse datée de la veille, Pierre Durand se fait le porte-parole de l’indignation générale après l’élection de Flourens (dont huit bulletins ont écrit le nom en faisant une faute, preuve de son manque de notoriété) préféré à Hugo par une Académie composée de sectaires à l’« esprit jésuite ». Il s’en prend notamment à Delavigne et à Jay, adversaires particulièrement acharnés de Hugo, et soutient le projet de protestation de la Société des Gens de Lettres.

[3Les membres de l’Académie française.

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