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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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20 février [1840], jeudi, midi.

Bonjour mon Toto chéri, bonjour mon pauvre amour. Comment vont tes chers beaux yeux ? C’est aujourd’hui que l’Académie s’immortalise réellementa, soit qu’elle te nomme, soit qu’elle ne te nomme pas. Pour moi je n’ose pas faire de vœux ni pour ni contre. Je suis comme Joshuab du temps de Henri VIII : ceux qui n’étaientc ni pour ni contre on les pendaitd ou on les brûlaite indistinctement [1]. J’espère que ma position dans ce cas-ci ne sera pas aussi périlleuse mais je n’en serai pas moins très embêtée soit qu’on fasse de toi un académicien ou soit que tu te fassesf candidat. Merci, je donnerais le choix pour une épingle : dans quelques heures notre sort sera décidé. Pour t’obéir je me dépêche à m’apprêter, mais en vérité je ne suis pas dupe de la promptitude que tu veux mettre dans tes visites de condoléances. C’est une manière de me tenir en haleine à laquelle je me prête de bonne grâce mais dont je ne suis pas la dupe. Dans tous les cas je serai prête d’ici à une heure. J’ai reçu une seconde lettre de Claire qui me mande qu’elle sort mercredi matin au lieu de mercredi soir, chose très importante pour des écolières. Pour moi je n’en ai qu’une chose importante, mais elle occupe toute ma vie, elle prend tout mon cœur et toute mon âme : c’est mon amour. Je ne vis pas dès que je le perds de vue, aussi c’est pour cela que je suis si souvent en léthargie. Dans ce moment je te désire et je t’espère. C’est presque du bonheur.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 180-181
Transcription de Chantal Brière

a) « réelement ».
b) « Josua ».
c) « n’était ».
d) « pendaient ».
e) « brûlaient ».
f) « fasse ».


20 février, jeudi soir, 4 h. ½

Tu tardes bien à venir, mon adoré, tu n’as aucun égard pour ma curiosité, ni aucune pitié de mon amour qui te désire et t’appellea sans cesse. Il me semble que tu dois avoir la nouvelle de l’Académie bonne ou mauvaise [2] ? Je me suis apprêtée de très bonne heure pour t’obéir car je savais bien que ton intention n’était pas de me faire sortir mais de me tenir en haleine. Mais je voudrais au moins que tu récompensassesb mon obéissance et ma soumission à tes moindres désirs en venant me voir un peu à la dérobée. Je trouve vraiment que tous les sacrifices que je fais à ta jalousie et à ta tranquillité ne sont pas récompensés et que tu ne m’en tiens aucun compte. Demeurant si près l’un de l’autre, cela te serait pourtant bien facile. Enfin que ta volonté soit faite en attendant que justice se fasse. Je ne demande pas mieux tant que je le pourrai. Il fait joliment froid aujourd’hui, je n’ai pas encore pu me réchauffer de la journée, j’ai la figure, les lèvres et les mains toutes bleues. Quand tu me verras, tu me trouveras aussi laide qu’hier. Embrasse-moi mon Toto et aime-moi si tu peux car j’en doute à présent que la politique occupe tant de place dans ton esprit. Je doute fort qu’elle te laisse assez de loisir pour t’occuper de ton cœur dans lequel mon amour, ma vie, ma joie et mon bonheur sont enfermés. Moi je t’aime, ça va sans dire et plus que jamais, ce qui va encore sans dire car je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 182-183
Transcription de Chantal Brière

a) « t’appelles ».
b) « récompensasse ».

Notes

[1« Les indifférents, ceux qui n’étaient ni pour ni contre, on les brûlait ou on les pendait, indifféremment. » Phrase extraite d’une réplique de Joshua, personnage de Marie Tudor, Journée 1, scène 2.

[2Jour d’élection à l’Académie française où Hugo est candidat.

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