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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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9 février [1840], dimanche après-midi, 1 h. ½

Bonjour mon Toto chéri, bonjour mon pauvre adoré, comment as-tu passé le reste de la nuit ? As-tu pris quelque repos au moins ? Vraiment tu travailles trop, mon bon petit homme, et tu ne prends pas assez soin de toi. J’ai tellement cette conviction que j’ai reculé hier à te dire que c’était aujourd’hui le jour de Mignon 10 F., le mois de la bonne 25, le vin et l’eau de vie 19 F. 10, total 54 F. 10, sans compter le blanchisseur demain, le mois du portier après-demain. Enfin, mon pauvre Toto, je suis si convaincue que tu te tues à travailler que j’ai des remords à te dire tous mes besoins. J’aimerais mieux vendre et cent mille fois mieux, mon Dieu, les quelquesa bijoux inutiles qui me restent que de continuer à te prendre ton sommeil, ta santé et ta vie. C’est bien du fond du cœur que je te le dis et que je le sens, mon adoré. Baise-moi mon Toto, aime-moi mon bon petit homme. Voici le marchand de vin mais je ne le paierai pas pour ne pas rester sans un sou, la bonne ira le payer, cela ne fait rien. À propos de bonne, la mienne est si stupide qu’elle me fait faire plus de mauvais sang que je ne suis grosse. Mais ce n’est rien en comparaison du mal que tu as toi, mon pauvre petit ouvrier courageux. Je m’aperçoisb que je me suis trompée en datant l’heure de ma lettre, il n’était que midi ½ au lieu de 1 h. ½. Je te dis cela pour l’exactitude et la régularité des choses. Jour mon Toto, je t’aime. Jour mon petit bien-aimé. Baise-moi qu’on vous dit. Il fait un temps ravissant aujourd’hui, je voudrais bien rouler avec vous sur quelque grande route bien éloignée et vous ? Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 142-143
Transcription de Chantal Brière

a) « quelque ».
b) « m’apperçois ».


9 février [1840], dimanche après-midi, 4 h. ½

Vous avez été bien poli envers Mme Chamberlan [1], mon Toto, mais bien peu tendre envers moi qui m’étais mise à la croisée tout exprès pour vous voir passer et pour vous voir plus longtemps ; vous ne m’avez pas regardéea. Hélas je crois que vous en êtes venu au point de m’épouser si la chose était faisable et toutes les injures dont le Dumas assaisonne la femme qu’il épouse [2] peuvent très bien entrer en comparaison avec la froideur excessive que vous me montrez accompagné de dévouement. Je ne dis pas cela pour parler et comme taquinerie, je le dis tristement et amèrement comme une pauvre femme qui croit découvrir une affreuse vérité. C’est dans les petits détails que se montre l’amour et depuis longtemps vous les négligez au point de les supprimerb tous. Je m’en aperçois, je m’en plains quelquefoisc et j’en souffre toujours. Du reste je n’ai pas à me plaindre de ton dévouement, de ta générosité mais tout cela ce n’est pas de la passion ni de l’amour. Peut-être ai-je tort de ne pas être plus coquette et plus soigneuse de mon extérieur, peut-être ai-je tort de m’effacer aussi complètement dud nombre des femmes vivantes car tu ne t’aperçois plus que je suis là, que je t’aime et que je ne fais le sacrifice de ma toilette que par excès d’amour et de tendresse pour toi. Je suis triste, va. J’ai du chagrin, pourquoi ne m’as-tu pas regardéea ?

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 144-145
Transcription de Chantal Brière
[Massin]

a) « regarder ».
b) « suprimer ».
c) « quelques fois ».
d) « d’une ».

Notes

[1Nom de la concierge de la maison d’en face (note de l’édition Massin).

[2Alexandre Dumas a épousé sa vieille maîtresse Ida Ferrier le 5 février 1840. Tout Paris bruit de cet événement.

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