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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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4 février [1840], mardi matin, 11 h. ¾

Bonjour mon petit bien-aimé, bonjour mon bon petit homme, j’ai mon bois qu’on rentre dans ce moment-ci tout scié tout apporté, 40 F. la voie [1], pas un liard de moins à ce que dit le père Lanvin qui m’a apporté la facture. J’ai fait prendre un quarteron de marcotinsa [2] mais pas de bois de poêle, tant pis on n’usera que celui-là, le reste du temps on se brossera le ventre au soleil. À propos de soleil il en fait un bien beau aujourd’hui mais ce ne sera pas pour mon fichu nez comme à l’ordinaire. Il est vrai de dire que ce régime me réussit à merveille et que si je n’y perds pas la santé j’y perdrai mon peu de raison, ce qui ne vaut pas beaucoup la peine d’être regretté. Je t’aime mon Toto. Tu n’es pas beaucoup revenu hier malgré tes promesses, mais je le savais d’avance, jamais tu ne viens deux jours de suite, c’est bien assez tous les huit jours, n’est-ce pas, et on ne fait pas mieux pour une femme légitime ? J’aurais donc bien mauvaise grâce à me plaindre et je ne me plains pas au contraire. Jour Toto, papa est bien i, vive Toto. J’aurai probablement ma fille demain à moins qu’elle ne soit en retenue, ce sera encore Lanvin qui l’amènera car il paraît que sa femme est toujours très souffrante. Du reste j’ai à peine eu le temps de lui parler. Je vous aime mon bon petit homme, je vous aime. Je voudrais vous voir, cela me mettrait du baumeb dans mes épinards, je suis un peu chiffue aujourd’hui.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 126-127
Transcription de Chantal Brière

a) « marcottins ».
b) « beaume ».


4 février [1840], mardi soir, 6 h. ½

Je savais bien, mon cher petit bien-aimé, que tu ne me ferais pas sortir car il fait à peu près beau temps et il n’y a que six jours que je n’ai pas mis le pied dans la rue. Aussi quoique je fasse ma toilette d’assez bonne heure tous les jours ce n’est pas du tout dans l’espoir que tu me feras sortir mais parce que ça se trouve comme ça. J’ai la tête fatiguée depuis tantôt, je ne fais que des additions, j’ai à peu près mis à jour toute l’année 1839, il y a un déficit sur toute la dépense avec la recette de 15 F. 5 mais, ma foi, je suis trop fatiguée pour refaire encore une fois mes additions. D’ailleurs suppose que je les ai mis à la caisse d’épargne et que ça finisse. C’est demain que ma fille vient, au train dont tu y vas il est probable que sa récréation se passera en tête à tête avec moi ce qui ne laissera pas que de l’amuser beaucoup. Enfin la pauvre enfant il faut bien qu’elle se [ressente ?] de la vie agréable de sa mère, c’est tout simple quand elle y sera pour son propre compte elle verra qu’il n’y a pas grande différence entre le mieux au pire, entre la vie d’une femme à une autre femme, si celle-ci et celle-là aimenta follement et stupidement comme moi. En vérité je ne sais pas ce que j’écris, je crois que Carême me tourne la tête et que j’écris précisément le contraire de ce que je sens car je suis très heureuse, très gaie et que je t’aime par dessus toute chose.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 128-129
Transcription de Chantal Brière

a) « aime ».

Notes

[1Dans l’industrie du bois, nom donné à la largeur du trait de scie.

[2Petits fagots.

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