6 juin 1874

Paris, 6 juin [18]74, samedi, 4 h. ½ du soir

Je serais bien fière et bien heureuse de ton beau cadeau, mon cher bien-aimé, si je ne me reprochais pas de l’avoir si tristement provoqué hier. Et, si je ne craignais pas que tu te méprennes sur le sentiment qui me pousse à te prier de le reprendre aujourd’hui, je te dirais que cette splendide boîte figurerait^a bien mieux dans ton salon que sur la console de ma petite chambre à coucher. Je trouve décidément cette mariée beaucoup trop belle pour un vieux chignon comme le mien. Donc, mon cher bien-aimé, je désire que cette magnifique chose qui a causé hier tant de trouble entre nos deux âmes te revienne en toute propriété. C’est le meilleur usage que je puis en faire. Je ne pense pas que tu veuilles donner suite à ton projet de sortie avec moi parce qu’il est trop tard et que j’ai besoin d’être chez moi à cette heure-ci pour diriger l’inhabileté^b de ma cuisinière et pour stimuler sa lenteur incurable. Ce soir, après dîner, quand le citoyen Schoelcher sera parti, si nous n’avons personne, nous pourrons faire notre douce, fraîche et bienfaisante promenade aux Champs-Élysées^c. En attendant, je viens d’embrasser ton adorable Petite Jeanne qui allait avec Mary faire une commission pour sa Petite mère. J’espère qu’elle ne souffrira pas trop de l’excès de la chaleur augmentée encore par une robe en laine retardataire ou trop précoce. Cher bien-aimé, souris-moi, aime-moi et bénis-moi comme je le fais en ce moment en pensée de cœur et d’âme pour toi. Je t’adore.

BnF, Mss, NAF 16395, f. 101
Transcription de Véronique Heute assistée de Florence Naugrette

a) « figurerais ».
b) « l’inhababilité ».
c) Le signe + est placé entre les deux lignes.