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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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5 mai 1840

5 mai [1840], mardi matin, 7 h. ¾

Bonjour mon Toto chéri. Bonjour mon cher petit homme, comment vas-tu ? Je suis matineuse comme tu vois par la date de ma lettre, c’est que je veux faire un gros nettoyagea aujourd’hui et qu’il faut aussi que je déménage toute ma chambre à coucher à cause des tapisseries. Au reste quand tu ne couches pas avec moi, ce qui arrive 29 jours sur 30, je n’ai pas de goût pour le lit. C’est donc aujourd’hui que paraît mon beau livre [1], mon amour. Vous allez être assailli d’admiration, d’admirateurs et d’admiratrices et vous ne penserez plus à moi qui vous aime et je souffrirai parce que je vous adore et que je suis jalouse de tout ce qui vous approche, de tout ce qui vous touche, de tout ce qui vous parle et surtout de toutes CELLES qui viennent vous offrir leurs marchandises, leur naïveté et toutes espèces de choses dont l’usage vous est interdit par……notre amour. J’allais presque dire par moi mais si tu ne m’aimes pas ma défense n’existe pas et si tu m’aimes tu dois redouter autant que moi tout ce qui peut blesser et inquiéter notre amour. Ne vois plus de femmes mon Toto et quant aux hommes songe que toute leur admiration n’est qu’un pâle reflet de la mienne, que je t’aime, que je t’adore et que tu es tout pour moi depuis le soleil qui me ravit jusqu’au paradis que j’espère.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16342, f. 109-110
Transcription de Chantal Brière

a) « nétoyage ».


5 maia [1840], mardi soir, 5 h. ½

Je suis levée tout à fait, mon amour, et je suis débarbouillée et peignée, que dites-vous de cela, mon adoré ? Je crois que j’en ai fini avec le mal d’entrailles, je n’ose pas en dire autant du mal de tête mais cependant je me sens assez gaillarde même de ce côté-là pour vous tenir tête à pied, à cheval et en voiture, à table, au lit et partout ailleurs quand et comme vous voudrez. Ceci est une profession de foi un peu énergique je l’espère. C’est égal, j’ai eu quatre jours de dégommage un peu soigné pendant lesquels je n’ai pas mis une goutte d’eau sur mon pauvre corps, ni un coup de peigne dans ma maigre perruque. On peut juger par ce critériumb d’IMPROPRETÉ de la gravité de l’indisposition car il faut que je sois tout à fait sur les dents pour renoncer à ce genre de coquetterie. J’aurais été volontiers avec vous aujourd’hui porter vos cartes de visite, bien enveloppée et bien encoqueluchonnée mais vous vous êtes donné bien de garde de me le proposer dans la crainte, très fondée, que je n’acceptasse. Vous êtes un joli HOMME, voime, voime il faut le dire vite de peur de vous manquer. Je n’entends pas parler de Mme Krafft, je crains que votre ANIMAL n’est pas mis la lettre à la poste. Tâchez de voir dans les doublures de vos poches si vous ne l’y avez pas serréec avec soin. Je vous attends ce soir, mon amour, armée d’un bifteckd et d’un plat de salsifise et d’un cœur plein d’amour ce dont vous userez le moins.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16342, f. 111-112
Transcription de Chantal Brière

a) La lettre porte la date du 5 février, corrigée d’une autre main en dessous en « mai » suivi d’un point d’interrogation.
b) « crytérium ».
c) « serré ».
d) « biffecteck ».
e) « salcifits ».


5 mai [1840], mardi soir, 9 h. ½

Tu pardonnes, n’est-ce pas mon adoré, de t’avoir reçu en souillon et plus hideuse que le cul du diable ? J’aurais voulu être à cent pieds sous terre quand tu m’as vue avec mes mains sales, mes cheveux malpropres et ma figure couverte d’un masque de crasse. J’espérais avoir fini plus tôta et pouvoir me débarbouiller un peu auparavant que tu ne vinsses mais je me suis trompée sur le temps et sur le nettoyageb que j’avais à faire. Je te prie, mon Toto, que cela ne t’empêche pas de m’aimer car c’est pour te donner une heure de sommeil en plus que je prends une ouvrière de supplémentc en moins. Mais dans cette économie il y a plus que de l’amour, il y a de l’adoration pour toute ta chère petite personne. Au reste je n’ai pas eu le temps de voir vos petites beuttes. J’espère qu’ellesd vous vont bien et que vous avez le pied pas plus grand que ça. À propos j’ai vu la pauvre mère Lanvin que je n’avais pas vuee depuis le 1er janvier et qui me tombe sur les bras juste le jour de mon remue ménage. Elle venait me rendre compte de la conversation qu’elle avait euef hier avec Pradier. Mais comme ça serait trop long à te raconter sur le papier je te le dirai quand je te verrai. J’ai aussi vu Gérard qui, se trouvant presque dans le quartier, était venu me pour dire qu’elle ne pouvait pas me donner les chapeaux plus tôta que dans 10 jours. Bref je n’ai qu’à faire mon déménagement pour avoir des visites, faire carder mes matelas pour avoir de la pluie mais je ne sais pas encore ce qu’il faut faire pour vous avoir car vous aimer de toute son âme ne suffit pas. Je te désire mon Toto, viens vite.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16342, f. 113-114
Transcription de Chantal Brière

a) « plutôt ».
b) « nétoyage ».
c) « supément ».
d) « qu’elle ».
e) « vu ».
f) « eu ».

Notes

[1Il s’agit du recueil Les Rayons et les ombres.

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