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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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18 mars 1840

18 mars [1840], mercredi après-midi, 1 h. ¼

Bonjour mon cher petit bien-aimé, bonjour mon âme, bonjour je t’aime. Tout est prêt, ta tisanea, ma personne à l’exception de ma coiffure cependant et le Lanvin n’est pas encore arrivé, peut-être sont-ils tous malades ; si je ne les vois pas aujourd’hui, j’enverrai la bonne savoir ce qui se passe car je dépense trop d’argent en falourdes [1]. J’ai reçu une lettre de Claire, je me suis permis de l’ouvrir ! Quelle audace !!! Voime, voime, que tu as été bon et doux hier, mon Toto, et que je l’ai bien senti dans mon cœur. J’aurais voulu baiser tes chers petits pieds en signe de vénération et d’adoration, mon noble et généreux Toto. Je sais bien que tu travailles, mon amour, je ne te tourmente plus pour me faire sortir mais je serai toujours prête à profiter des courts instants que tu pourras me donner au clair de lune comme aux rayons du soleil, je ne veux pas perdre une minute par ma faute du bonheur d’être avec toi ; je me lèverai s’il le faut à quatre heures du matin et je ne me coucherai pas du tout si c’est nécessaire pourvu que je te voie, c’est tout ce que je veux. Je continue à m’abreuver de tisanea, ça doit te faire du bien, j’espère que d’ici à peu de jours tu te trouveras assez rafraîchib et que je pourrai mettre mon pauvre corps à sec ? En attendant je l’humecte tant que et plus et je vous aime de toutes mes forces, de tout mon cœur et de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 282-283
Transcription de Chantal Brière

a) « tisanne ».
b) « raffraîchi ».


18 mars [1840], mercredi soir, 5 h. ¼

Soyez fidèle à votre promesse, mon adoré, si vous voulez que je ne sois pas la plus tourmentée, la plus jalouse et la plus enragée des femmes. Je vous aime, entendez-vous bien, je vous aime passionnément, c’est-à-dire que pour mon amour je fais abnégation de tout mon moi, mais j’ai besoin que de votre côté vous me rendiez en petit le sacrifice que je fais en grand à votre tranquillité et à votre bonheur. D’ailleursa, mon cher petit bien-aimé, ne serait-il pas plus juste et plus équitable que vous me donnassiez les quelques minutes que vous avez de libre, à moi qui me dévoue à la solitude et au désespoir tout le temps que vous travaillez, que de les donner à des devoirs du monde et à des gens qui n’en éprouventb qu’un plaisir fugitif et de vanité ? Je vous dis tout cela à ma façon, c’est-à-dire comme des cheveux sur de la soupe, mais vous sentez tout ce que je veux dire qui est la passion même et l’amour le plus excessif et le plus entier qui demande en échange un peu de joie et de sécurité.
Voici le bois rangé, je l’ai fait descendre et rangé par la bonne, c’est toujours ça d’économisé. Non, mon cher adoré, je ne te cache rien, tu peux en être bien sûr ; d’ailleursa tu es si bon, si excellent pour moi que je serais vraiment bien coupable si je n’y répondais pas par la confiance la plus entière. Baise-moi, mon amour, ce THIERS m’a empêchéec de te demander si tu viendrais ce soir souper : c’est que je n’ai vraiment rien du tout à manger ce qui serait trop peu si tu venais. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 284-285
Transcription de Chantal Brière

a) « D’ailleur ».
b) « éprouve ».
c) « empêché ».

Notes

[1Falourdes : fagots de bois.

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