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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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31 octobre 1852, dimanche matin, 8 h.

Bonjour, mon petit homme bien-aimé, bonjour. Tu es mon premier pater et mon premier ave dès que j’ouvre les yeux ; tu seras mon dernier credo quand je les fermerai pour toujours.
Je n’ai pas de chance de te voir avant l’issue de la réunion aujourd’hui. Aussi je me prépare à une journée assez maussade, quel quea soit l’état du ciel. Et puis, je suis poursuivie par les sollicitations de Mme Luthereau qui insiste en gémissant et en me faisant l’énumération de son dénuement. Elle a été jusqu’à m’envoyer une lettre sans date dans laquelle je la prie de me prêter mille francs. Mais je n’ai jamais nié que j’eusse contracté envers elle de la main à la main dans diverses circonstances de ces sortes d’obligations. Il a même fallu que le souvenir en fûtb bien présent à ma pensée pour avoir résisté à ton désir pressant de rompre avec elle toute relation. Désir dont je reconnaissais la nécessité et la raison depuis que je t’appartenais et auquel ma reconnaissance n’a pas voulu céder. Mais tout cela ne m’empêche pas de trouver étrange et presque coupable ce long silence gardé par elle au sujet de la dette qu’elle me réclame et que j’avais si évidemment oubliée. J’ai d’autant plus ce droit que sa réclamation si pressante arrive dans le moment le plus étroit et le plus difficile de notre vie. Cependant que faire ? Elle paraît ne pas pouvoir attendre l’époque que tu m’avais fixée à peu près. Je suis vraiment bien tourmentée et bien attristée à ce sujet et la pensée de te faire partager mon ennui le redouble. Je voudrais au prix de n’importe quel sacrifice personnel ne plus entendre parler de cette déplorable affaire. En attendant, mon cher petit homme, je t’aime comme si je n’étais en proie à aucune triste préoccupation.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 115-116
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « quelque ».
b) « fut ».


Jersey, 31 octobre 1852, dimanche midi ¾

Tu es sans doute en pleine réunion [1] dans ce moment-ci, mon cher petit bien-aimé, et probablement déjà bien écouté et bien admiré, soit que tu parles ou que tu lises la belle chose que j’ai copiée hier [2]. Mais je crains que, pour le seul désir de prolonger la séance pendant qu’on te tient, on ne suscite objection sur objection pour avoir le plaisir de te les faire répéter et qu’on ne te garde ainsi presque toute la journée. Cette malice démocratique et sociale, à laquelle je n’aurais pas mieux demandé de m’associer, me vexe en tanta qu’elle te retiendra plus longtemps loin de moi. Aussi je lui suis médiocrement sympathique quoiqu’elle ait un bon motif, celui de t’admirer plus longtemps. Je profite de ma solitude pour m’embêter cruellement et pour jouir d’un affreux mal de tête. Tu vois que je suis une femme de ressources et qu’on peut me laisser seule sans inquiétude. Je vous prie dorénavant de me confier tous vos bobos parce que, dans le nombre, il y en aura que je pourrai guérir avec la dextérité dont vous avez été témoin ce matin. Hélas ! ce ne sont pas les épines des mains qui sont difficiles à extraire mais celle du pied. Quant à moi, j’en ai une dans ce moment-ci qui me gêne et me tourmente beaucoup. Mais je ne veux pas y penser pour ne pas t’en ennuyerb à ton tour. Je t’aime, voilà mon premier et mon dernier mot.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 117-118
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « en temps ».
b) « ennuier ».

Notes

[1Deuxième séance de l’Assemblée générale des proscrits démocrates socialistes résidant à Jersey (94 français, le Hongrois Téléki et le Polonais Roman) au cours de laquelle le texte de la Déclaration rédigé par Victor Hugo est adopté. Une première séance avait eu lieu le 29 octobre au cours de laquelle Pierre Leroux avait élu président.

[2La veille, Hugo a écrit « L’Homme a ri » (Châtiments, III, 2). C’est le huitième poème en une semaine qu’il écrit depuis qu’il s’est mis sérieusement à la composition de son prochain recueil.

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