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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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20 mai 1852

Bruxelles, 20 mai 1852, jeudi matin, 8h.

Bonjour, mon Victor bien aimé, bonjour comment vas-tu ce matin ? Il fait un temps à mettre un bonapartiste dehors, aussi je te conseille de rester sous ta couverture le plus longtemps que tu pourras pour éviter les rhumes de cerveau et autre coryzaa de même nature. Quant à moi qui ne désenchifrène [1] pas depuis que je suis en Belgique, cela m’est égal et je brave toutes les températures. Dites donc, mon petit homme, est-ce que vous n’êtes pas honteux et tourmenté de remords de m’avoir donné si peu de temps hier ? Est-ce que vous avez beaucoup de Charras de rechange ? Est-ce que vous ne viendrez pas d’un peu bonne heure aujourd’hui pour me dédommager des Deschanel [2] d’hier et du Dumas d’aujourd’hui ? Est-ce que....? Je m’arrête pour ne pas pousser trop loin l’indiscrétion ; il n’est pas sain de pénétrer trop avant dans le for intérieur des Toto. Venez de bonne heure, mon cher petit homme, aimez-moi un peu et soyez moi bien fidèle et je ferme les yeux sur le RESTE. Voime, voime à la condition de me servir de SECONDE VUE pour vous ficher de bons coups et d’affreuses trépignées [3]. D’ailleurs, je ne veux pas rire, cela me fait mal au cœur. Il y a des choses sur lesquelles je n’ai jamais pu plaisanter sans un affreux serrement de cœur. Mon Victor bien-aimé, mon âme, ma vie, je t’aime pieusement. Mon amour pour toi est un culte, une adoration. Tout ce qui porte atteinte à sa sainte gravité me paraît un blasphème, une profanation que je repousse de toutes les forces de mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 51-52
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « corriza ».


Bruxelles, 20 mai 1852, jeudi matin, 11 h.

Je t’envoie ta montre aussi complétée que possible, mon petit bien aimé, mais pour cela il m’a fallu acheter un anneau brisé de 2 sous sans lequel tu aurais perdu ta clef au bout de cinq minutes. Je n’ai pas attendu ta permission, pensant bien que tu approuverais cette dépense tout à fait motivée dans l’intérêt de ta clef et de ta bourse même. J’espère qu’en voilà pour longtemps, mais je te conseille, pour plus de prudence, de ménager la susdite clef et de t’en servir avec précaution. Tu ne peux pas te figurer combien ces commissions me tourmentent et combien je redoute toutes les occasions d’avoir à le faire. Ce n’est pas pour épargner mes pas, tu le sais bien n’est-ce pas ? Mais c’est parce que je crains d’être trompée dans les choses où il faut s’en rapporter à la probité douteuse des marchands. Enfin, mon petit homme, voici toute votre horlogerie en état, soignez la bien et tâchez qu’elle soit toujours en avance chaque jour oùa vous viendrez chez moi. Je ne vous envoie pas de chemise, quoique ce soit le jour parce que Suzanne prétend qu’il y en a à vous et à M. Charles qui traînent dans votre chambre. Si vous en voulez, vous me le ferez dire et on vous en portera. Mais ce qui me tient au cœur et partout, c’est de savoir à quelle heure vous viendrez aujourd’hui. Si vous ne venez pas de bonne heure et que vous ne puissiez pas revenir ce soir, ce sera bien triste pour moi. Mon cher petit homme, pensez-y et faites tout votre possible pour venir tout de suite après votre déjeuner. Je vous en serai bien tendrement reconnaissante.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 53-54
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « que »

Notes

[1Néologisme à partir du verbe enchifrener : enrhumer.

[2Hugo assiste régulièrement au cours d’Émile Deschanel.

[3Trépignée : râclée, volée de coups.

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