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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Bruxelles, 26 février 1852, jeudi matin, 8 h.

Bonjour, mon petit homme, bonjour mon pauvre souffreteux, bonjour. Comment vas-tu ce matin ? Penseras-tu à ton remède, voilà ce qui me tourmente car je te sais oublieux de toute chose et surtout de celles qui touchent à ta santé. Pauvre être adoré, c’est un grand crève-cœur pour moi de ne pouvoir te donner mes soins à tous les instants de ta vie. Si tu savais ce que j’éprouve de regrets et de pitié quand je pense à ton isolement, à ton lit mauvais, à ton repos troublé, enfin à toutes les petites misères de la vie, toi si grand, si occupé de vastes choses, si dévoué à l’humanité, si bon, si doux et si facile à servir. Pauvre bien-aimé, je maudis alors tout ce faux respect humain qui m’empêche de te donner tous mes soins et qui rend mon dévouement stérile. Il faut mon pauvre bien-aimé que tu me supplées un peu surtout en ce qui regarde ta chère santé. Ainsi je te supplie de ne rien négliger de ce que te recommandera M. Yvan. Il faut absolument que tu n’aies plus de fièvre ni de rhume ni mal de gorge. JE LE VEUX. Oh ! Mais c’est que je vous ferai payer toute espèce de détériorationa, moi. Je veux un Toto complet et en bon état, tel enfin que je l’ai pris un jour d’adorable mémoire. Pour cela, il faut commencer par bien vous soigner et par ne pas faire la cour à vos tabatières [1] et à d’autres. Il faut m’aimer et venir vous faire dorloterb par moi et puis ne pas vous fatiguer à un travail trop assidu. Et puis encore, et surtout, ne pas trop fréquenter Marc Dufraisse et pas du tout le bonhomme Roussel, ces deux mythes n’étant rien moins que SAINTS.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 143-144
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « déterrioration ».
b) « dorlotter ».


Bruxelles, 26 février 1852, jeudi après-midi, 2 h.

Où es-tu, mon pauvre petit homme, pour que ma pensée aille au devant de toi, pour que mon souffle tiède réchauffe cette affreuse atmosphère glacée, si elle t’enveloppe, pour que mon âme se mette entre toi et toutes les mauvaises influences quelles qu’ellesa soient. Si tu es encore chez toi, je m’y blottis à tes pieds, prête à sauter sur la femelle assez hardie pour t’approcher trop près. Si tu es sorti, je vais te chercher pour te ramener plus vite ici, ce qui ne m’empêche pas de laisser mon stupide moi à la maison occupé à griffouiller je ne sais quoi. Et, à ce sujet, je vous ferai souvenir de la promesse que vous a faite le bourgmestre [2] et dont il faut user tout de suite pour se conformer au proverbe : battre le bourgmestre pendant qu’il est chaud. Et puis j’écrirai tout à l’heure une lettre à Mme de Montferrier dans laquelle tu ajouteras quelques mots de cordialité. Mais, pour cela, mon petit Jean de Nivelle [3] il ne faut pas me tourner les talons quand je vous appelle et ne montrer le bout de votre nez qu’aux brelans carrés [4]. Il faut venir tout de suite et faire toutes ces choses et bien d’autres, lestement, sans vous y reprendre à deux fois. D’ailleurs qu’est-ce que vous faites chez vous à recevoir tous les curieux et tous les désœuvrés de la ville ? Et si vous n’y êtes pas, quel plaisir trouvez-vous à courir par ce temps de froid de loup sans y être forcé ? Voyons, mon petit Toto, un peu de bonne volonté pour moi qui en ai tant pour vous et de toutes sortes. Venez vous réchauffer auprès de votre pauvre Juju qui n’aura jamais été plus contente et plus heureuse. Je vous en prie, je vous en supplie avec tout mon cœur.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 145-146
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « quelqu’elles »

Notes

[1Le logement situé 26 Grand’Place où Victor Hugo est installé depuis le 1er février est situé au-dessus d’un marchand de tabac tenu par des femmes.

[3Jean de Nivelle : personnage historique (1422-1477) qui du fait de son refus de répondre à l’appel du roi de France est à l’origine de l’expression populaire « être comme ce chien de Jean de Nivelle qui fuit quand on l’appelle. »

[4Le brelan carré est une figure de jeu de société, auquel ils jouent à cette époque.

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