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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 22 septembre 1852, mercredi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon cher petit Toto, bonjour mes beaux yeux souriants, bonjour ma belle bouche parfumée, bonjour l’enchantement de ma vie, bonjour mon doux adoré, bonjour mon bonheur suprême, bonjour. Comment vas-tu ce matin mon petit Toto ? Comment te tires-tu de ton état de siège et que deviennent tes magnums liquides et tes [baroches  ?] solides ? Où en es-tu de tes borborygmes démagogiques et de tes gargouillements anarchiques ? Ceci m’intéresse plus que les dithyrambes laxatifs de messieurs les maires de villages à l’occasion de la foire élyséenne et officielle dont M. le Prince Président est le principal phénomène en dépit du magnifique Crack Sen ou Crack Sel [1], le plus grand des animaux vivants dans la mer…. de France. Si j’en crois les diagnostics météorologiques de ce matin, nous aurons une belle journée aujourd’hui et je m’en réjouis à cause de ta chère petite santé. Si j’osais te parler de la mienne je te dirais qu’il serait peut-être nécessaire de me faire sortir, mais tu t’appartiens si peu qu’il n’est guère probable que tu puisses me faire marcher aujourd’hui. Je n’y compte donc pas, mon cher petit homme, et si je t’en parle ce n’est que pour mémoire. Tâche seulement de venir me voir un peu dans la matinée avant ton déjeuner, et puis pense à moi et aime-moi pour que ma pensée et mon amour trouvent à qui parler, en attendant que je puisse te baiser de fond en comble

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 353-354
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette


Jersey, 22 septembre 1852, mercredi soir, 9 h.

J’ai le cœur si plein de tous les enchantements de notre promenade, mon doux adoré, et l’âme si inondée de bonheur que je ne sais par où commencer pour te remercier de cette ravissante et heureuse journée où tout était à souhait, la nature splendide autour de nous et l’amour infini au dedans de nous. Ma pensée n’a pas encore pris terre aussi je n’ose pas te parler à tire d’aile de toutes les sublimes joies dont je suis encore éblouie. Cependant je n’ai pas voulu me coucher sans avoir essayé de te donner quelques bonnes petites caresses bien reconnaissantes que je t’envoie dans un des beaux rayons de lune qui illumine toute la baie dans ce moment-ci. Je voudrais pouvoir rendre mon âme visible à tes yeux pour que tu ne regardes qu’elle, cher adoré bien-aimé. J’ai désiré bien ardemment que tu trouves ce soir ton jeune fils [2] ce soir chez toi en rentrant. Ai-je été exaucée ? Je n’ose pas l’espérer, mais je n’ai jamais prié avec plus de ferveur que ce soir pour obtenir pour toi cette suprême joie de revoir ton enfant après plus de neuf grands mois de séparation. J’aurais voulu te payer mon bonheur de ce soir par ton bonheur de ce soir. Malheureusement j’avais besoin du concours de la providence pour cela et je sais par expérience qu’elle n’est pas toujours disposée aux vœux qu’on lui adresse. Aussi, mon Victor adoré, je ne te félicite pas d’avance pour n’avoir pas le regret demain matin de m’être trompée. Mais je te remercie et te baise de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 355-356
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Juliette pense-t-elle au Kraken, animal légendaire du la littérature médiévale scandinave ?

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