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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Bruxelles, 27 juillet 1852, mardi matin, 7 h. ½

Bonjour, la vie de ma vie, bonjour l’âme de mon âme, bonjour c’est-à-dire baisers, caresses et tendresses ineffables, dévouement sans borne, admiration et adoration comme pour le bon Dieu même.
Ce bonjour que je t’envoie en pensée tous les matins tu veux donc que je le fixe sur le papier comme je le faisais AUTREFOIS quand je me croyais tout à fait seule dans ton cœur, quand je croyais à ton amour pour l’éternité quand je me croyais sûre de ta fidélité et que j’en étais si heureuse que je ne m’apercevais pas de l’inconvenante pauvreté de mon esprit. Mais depuis que j’ai goûté au fruit amer de la désillusion, depuis que je sais qu’il faut habiller son âme comme on habille son corps afin d’en dissimuler les défauts et en faire jaillir les beautés, j’ai honte de ma nudité et je n’ose plus me montrer à toi telle que je suis, telle que je suis devant le bon Dieu dans la simplicité et l’honnêteté de mon amour. Cependant mon adoré bien aimé je t’obéis avec la pieuse espérance de retrouver un jour mon ignorante naïveté du bien dire et du bien écrire que j’ai laissé en sortant à la porte de mon paradis perdu. Le jour où je t’écrirai sans crainte d’être ridicule, sans peur des comparaisons, ce jour-là, mon adoré bien aimé, sera un jour béni de Dieu et comme la résurrection du premier jour où je me suis donnée à toi.
En attendant, mon Victor toujours plus vénéré, plus admiré et plus adoré je t’obéis avec une humble et tendre déférence en me résignant d’avance à la sévère ironie des esprits élevés et des cœurs sans faiblesse. Et dès aujourd’hui je reprends mes douces habitudes épistolaires au risque de tout ce qui pourra en advenir d’humiliant pour ton amour propre et de douloureux pour mon amour. Je t’écrirai parce que je t’aime, parce que j’ai besoin d’épancher le trop plein de mon amour, parce que chacun des mots qui sortent de ma plume sont autant de déversoir de mon âme parce que tu es ma vie, parce que je t’adore, parce que l’humble brin d’herbe demande sa vie au soleil comme la fleur la plus superbe.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 191-192
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

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