Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1852 > Avril > 24

Bruxelles, 24 avril 1852, samedi matin, 8 h.

Bonjour, mon doux bien-aimé, bonjour je t’aime et toi ? Le voilà donc arrivé cet anniversaire tant détesté et tant redouté par moi depuis bientôt un an. Eh ! bien grâce à la douce et sainte journée d’hier cette date maudite est devenue une date bénie. Toutes mes appréhensions et toutes mes terreurs ont disparua depuis hier. Je n’ai plus dans le cœur que de l’amour et une confiance sans borne. Le bonheur m’inonde l’âme comme au 24 avril 1833 [1]. Tout semble me sourire et je souris à tout. Mon Dieu soyez béni de m’avoir ôté cette plaie vive qui me faisait tant souffrir. Mon Victor je t’aime plus que jamais. Je n’ai plus peur, je ne me souviens que de mon bonheur passé. Je t’adore j’ai foi en notre avenir. Pense à moi quand tu te réveilleras pour que nos deux pensées se rencontrent à défaut de nos lèvres. J’aurais désiré passer toute cette journée avec toi mais je sais que c’est impossible à cause de ton travail et de ta soirée promise à Van Hasselt. Mais si je ne peux pas m’empêcher de soupirer avec regret de ne pouvoir pas la passer tout entière avec toi, le souvenir de celle si délicieuse d’hier, l’espoir d’en avoir une autre très prochainement me donneront la résignation de rester seule toute cette longue soirée, du moins je l’espère. La chose qui pourrait le mieux m’y aider ce serait si tu venais passer tout l’après-midi auprès de moi, mais le pourras-tu ? Je n’ose pas l’espérer. Je me borne à le désirer de tout mon cœur et de toute mon âme. En attendant, mon bien-aimé, bien adoré petit homme je t’envoie tout ce que j’ai de plus doux et de meilleur pour te garder et pour te préserver de tout mal. Fie-toi à cette pieuse protection invisible plus sûre et plus puissante peut-être que la plus ostensible et la plus formidable.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 331-332
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « disparues ».


Bruxelles, 24 avril 1852, samedi après-midi, 3 h.

Oh ! Que mon bon Charles a été bien inspiré d’aller déjeuner en ville ! Oh ! Que tu es adorable de m’en avoir fait profiter ! Oh ! Que je t’en remercie, mon bon petit bien-aimé et quel bonheur tu m’as fait ! J’étais bien loin de m’attendre à une seconde bonne fortune comme celle d’hier. Aussi ma joie s’est doublée de toute ma surprise. Merci, je suis heureuse, je te souris, j’ai le printemps sous les yeux et le paradis dans le cœur. Il me semble que toutes les mailles rompues à ton amour se sont ressoudées et que rien ne manque à nos dix-neuf ans de bonheur. Mon Victor, mon amour, ma vie, ma joie, mon âme je sens ton cœur tout entier dans le mien. Sois bénia autant que tu es adoré par moi.
Tu m’as promis de revenir avant le dîner, mon cher petit homme, mais le pourras-tu ? En attendant je n’ose pas toucher à tes papiers, à tes livres et à ton travail épars sur ma table. Cependant si tu n’étais pas venu vers six heures je prendrais sur moi de tout ranger de mon mieux avant de sortir. Tu sais du reste que je ne serai absente que le temps juste de dîner. Un véritable quine [2] ce serait que tu veuillesa dîner avec nous.
Charlot, mon bon Charlot, est-ce que vous n’avez pas mille invitations pour une ? Regardez bien et choisissez-en une pour ce soir, celle qui vous donnera le rôti le plus doré, la femme la plus tendre et le vin le plus velouté. Faites cela pour moi, mon bon Charles, et je prierai Dieu de satisfaire chacun de vos jeunes désirs. Mon bon petit Charles cela vous serait très facile et je suis sûre, si vous le saviez, que vous ne refuseriez pas cela à la pauvre femme qui vous le demande et qui attache à cette faveur un des plus grands bonheurs de sa vie.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 333-334
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « bénis ».
b) « veuille ».

Notes

[1En avril 1833, deux mois après leur première nuit d’amour, Juliette Drouet et Victor Hugo traversent des périodes orageuses comme l’attestent les lettres de Juliette Mais à travers certaines, qui ne sont pas datées de manière précise, transparaissent les instants de bonheur et les joies de Juliette : « Merci mon bon Victor de ta bonne lettre. Merci de ton amour qui est toute ma joie […] » (NAF 16322 f. 07-08) ; « Je t’écris mon bien-aimé Victor parce que je ne renonce pas aussi facilement que toi à ce qui est le bonheur […] tes lettres sont si bonnes, elles me font passer mes seuls moments heureux quand nous sommes séparés. » (NAF 16322 f. 15-16)

[2Quine : Formule gagnante au loto.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne