Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1852 > Avril > 21

Bruxelles, 21 avril 1852, mercredi matin, 8 h.

Bonjour, mon grand bien-aimé, bonjour mon ineffable adoré, bonjour. Comment as-tu passé cette nuit ? Mieux que la précédente, n’est-ce pas ? Et ton cœur comment va-t-il aussi lui ? Le printemps d’une part et ton travail assidu de l’autre suffisent de reste pour causer cette perturbation dans ta santé. Il faudrait tâcher de parer cette mauvaise influence par beaucoup de repos et un peu d’exercice fait à propos. Je parle d’or comme tu vois mais tu n’en profiteras pas de même car tu as hâte de finir ton livre [1], ce chef-d’œuvre de génie et de châtiment. Jamais rien de comparable à ce que j’ai lu n’a été écrit dans aucune langue et ne le sera jamais après toi. On dirait que tu écris ce livre sous la dictée de Dieu. Jamais rien d’aussi beau, d’aussi grand, d’aussi terrible et d’aussi sublime n’aura été dit en langue humaine. Permets-moi mon Victor de susurrer mon admiration comme je peux. On dit que nous avons tous nos pendants dans la nature animale, le mien doit être le cricri aussi monotone à l’œil qu’uniformément désagréable à l’oreille ce qui n’empêche pas sa petite âme de cricri de contenir autant d’admiration de reconnaissance et d’adoration pour le bon Dieu que celle du grand aigle et du lion puissant. La mienne mon Victor est pleine de mon amour, tous les autres sentiments s’absorbant dans celui-là. Je t’aime non parce que tu es beau, bon, doux, noble, grand et sublime je t’aime parce que je t’aime et plus je t’aime plus j’ai besoin de t’aimer, de t’aimer encore, de t’aimer toujours. Quand tout le monde t’admire, moi je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 323-324
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette


Bruxelles, 21 avril 1852, mercredi après-midi, 1 h. ½

Un beau temps aujourd’hui, mon petit Toto, et que vous devriez le mettre à profit si vous aviez le sens commun. Je ne vous demande pas de vous atteler à moi, je vous prie seulement de penser à votre santé. Tant mieux si vous trouvez que je ne suis pas un obstacle mais pour peu que je vous gêne dans vos promenades, je vous supplie de n’y plus songer et de ne vous occuper que de votre santé et de votre plaisir. Ça a été mon tour de mal dormir cette nuit et de faire d’affreux rêves. Il y en a eu un surtout après lequel il m’a été impossible de me rendormir. J’attribue mon mal de tête à cette insomnie comme si j’avais besoin de ce prétexte pour avoir la migraine. Je vais me la dissiper en copiant. J’ai déjà fait cette expérience qui m’a réussi complètementa. Aussi je me dépêche de gribouiller ces quatre pages pour me mettre à l’ouvrage c’est-à-dire au plaisir et à la santé. QUAND TU VOUDRAS me faire un grand bonheur tu laisseras ton Charles dîner en ville et tu viendras dîner avec moi. QUAND TU VOUDRAS [2] que je sois la plus heureuse des Juju tu arrangeras une petite partie d’un jour ou deux dans les environs. QUAND TU VOUDRAS que je sois plus que bien heureuse tu me donneras une nuit tout entière QUAND TU VOUDRAS. Hélas ! QUAND TU VOUDRAS n’est pas QUAND JE VOUDRAI cela suffit pour faire de ces trois mots toute une longue phrase d’amère dérision très difficile à avaler tous les jours même avec toutes les douceurs et toutes les ingénieuses sucreries dont tu l’assaisonnesb pour en déguiser la rebutante saveur QUAND TU VOUDRAS. VOUDRAS-TU QUAND JE VOUDRAI ?

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 325-326
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « complettement ».
b) « assaisonne ».

Notes

[1Victor Hugo interrompra la rédaction d’Histoire d’un crime pour Napoléon le Petit en mai.

[2Le 19 avril, Hugo ayant employé maladroitement l’expression « Quand tu voudras » pour faire à Juliette une promesse de gascon, Juliette reprend cette formule plusieurs fois ironiquement dans cette période.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne