18 juillet 1881

Paris, 18 juillet 1881, lundi matin, 6 h.

Quelle nuit, mon pauvre bien-aimé, et quelle angoisse s’est ajoutée^a à mon insomnie en t’entendant tousser avec tant d’opiniâtreté toute la nuit ! Cela m’a rappelé, hélas ! le temps pas éloigné où tu toussais jusqu’au sang et ce souvenir me navrait le cœur chaque fois qu’une quinte te prenait. J’espère, mon adoré, que tu ne voudras pas prolonger mon inquiétude en négligeant de soigner ce nouveau rhume. Cela te sera d’autant plus facile, en supposant que tu ne veuilles^b pas appeler de médecin, qu’Émile Allix dînera chez toi après-demain, mercredi et Sée le jeudi. Le mieux, cependant, serait de faire venir Allix aujourd’hui même, cela me tranquilliserait plus tôt et je t’en serais bien reconnaissante. En attendant, mon grand petit homme, tâche de profiter de la matinée pour prendre quelques heures de bon sommeil.
La chaleur est toujours aussi intense et j’en souffre toujours autant. Je suis si patraque ce matin que je n’ai de courage à rien, si ce n’est à t’aimer.
Pour comble d’amusement tu as réunion dans les bureaux du Sénat à deux heures et séance publique à trois et « prière d’être exact à l’heure ».
Jamais, je crois, ce bon Sénat n’a déployé^b une si grande activité que pendant ce mois caniculaire. Pour ma part je l’en aurais bien dispensé. Enfin, puisqu’il le faut, je fais de cette nécessité vertu mais ce n’est pas sans suer comme un bœuf. Et pas un nuage au ciel ! C’est dégoûtant ! Je m’en venge en t’aimant d’un amour à tordre dans l’impossibilité de t’aimer à sec de toile ni de flanelle et je t’adore en pluie de feu.

[Adresse]
Monsieur Victor Hugo

BnF, Mss, NAF 16402, f. 161
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette

a) « ajouté ».
b) « déploié ».