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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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12 décembre [1841], dimanche matin, 11 h.

Bonjour mon Toto chéri, bonjour mon amour, bonjour toi que j’aime, bonjour, je baise tes chers petits pieds. Si j’ai été injuste et méchante hier je t’en demande pardon, mon amour. Il y a des moments où je souffre et où je doute de ton amour, alors je deviens plus féroce et plus enragéea que Jacquot. Si tu pouvais me voir dans ce moment-ci, tu verrais bien à ma pauvre figure que mon chagrin d’hier, tout insensé qu’il était, n’était pas simulé. Dorénavant, je serai plus raisonnable et j’accepterai tout ce que tu m’offriras, même la pluie battante. Je ne veux plus être méchante jamais, d’ailleurs, le chagrin ne me va pas assez bien pour que j’en use sans une impérieuse nécessité. Ainsi, par force ou par plaisir je serai TRÈS BONNE ASSURÉMENT, mais moi je NE MENSb PAS et je ne fais pas d’affreux rébus comme vous, pÔlisson.
Ce pauvre Charlot, je voudrais bien le savoir décoffré. J’ai une si grande horreur de la PRISON que je ne le souhaiterais pas à mon plus grand ennemi, à plus forte raison à mon gros Charlot [1]. Si je l’avais magnétiséc, ça ne serait pas arrivé. Une autre fois je n’y manquerai pas, vous voyez comme ça a réussi au petit Toto [2]. Quant au grand Toto, s’il a le malheur de me tromper, je lui ferai pousser un nez phalanstériend qui lui pendrae depuis la tête jusqu’aux pieds [3], y compris un arrosement de coups de triques abondant et permanent.
As-tu faitf porter la lettre à la maréchale [4] ? Je regrette de ne m’en être pas chargée mais je craignais de me réveiller trop tard et de n’avoir plus le temps dans la journée, ce qui ne serait pas arrivé puisque je me suis réveillée de quart d’heure en quart d’heure et que j’ai passé une très mauvaise nuit. Maintenant il n’est plus temps et une autre fois, nous nous y prendrons mieux. En attendant, pardonne-moi, baise-moi et aime-moi. Je te pardonne, je te baise et je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 203-204
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « enragé ».
b) « MENTS ».
c) « magnéttisé ».
d) « phalanstériens ».
e) « pendera ».
f) « fais ».

Notes

[1Si l’on en croit une lettre de Juliette du 14 février, Charles Hugo, alors élève au collège Charlemagne et pensionnaire à la pension Jauffret, « ne veut pas faire SON VERTUEUX de peur de se faire moquer de lui par ses camarades ». Ses résultats scolaires baissent donc et sont une préoccupation importante de Hugo durant toute l’année 1841. Il envoie des lettres à son fils afin de tenter de le remotiver et l’encourager à redevenir le bon écolier qu’il était puisqu’il a obtenu le 31 juillet 1840 le premier prix de thème latin au concours général (« Une lettre inédite de Victor Hugo à son fils Charles », du 6 mai 1841, transcrite et analysée par Christine Chaumartin, article pour le Groupe Hugo, novembre 2015). Mais cela n’a pas été, semblerait-il, suffisant, et l’adolescent a très certainement été sanctionné par « une mise au cachot », punition ordinaire selon le Rapport sur les prisons des collèges de Paris du 29 septembre 1837.

[2François-Victor Hugo, que Juliette surnomme « le petit Toto » ou « l’autre Toto », enfant de santé fragile, est malade depuis quelque temps. Il va développer une maladie pulmonaire très grave peu de temps après.

[3Phalanstérien : adepte de la doctrine de Charles Fourier (1772-1837), fondateur de l’École sociétaire. Sa pensée et ses adeptes firent l’objet de caricatures à l’époque, notamment physiques. En témoigne par exemple cette citation de Musset parue dans la Revue des Deux Mondes de 1832 : « Le fouriérisme a organisé une phalange, qui bêche et pioche dès à présent dans le département de l’Oise. C’est en ce mois de janvier que la trompe de dix-huit pieds, promise à tous les vrais phalanstériens, va commencer à leur pousser au bout du nez ».

[4Épouse de Nicolas Charles Marie Oudinot (1767-1847), duc de Reggio et maréchal d’Empire ? Il est réputé comme le soldat ayant reçu le plus de blessures durant les guerres de la Révolution française et de l’Empire. En 1841, il occupe encore le poste de grand chancelier de la Légion d’Honneur, accepté en 1839, qu’il quittera en 1842 pour passer à celui de gouverneur de l’Hôtel royal des Invalides.

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