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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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8 décembre [1841], mercredi matin, 11 h. ¾

Bonjour mon Toto chéri, bonjour mon amour. Comment que ça va ce matin, ou plutôt ce soir, car il fait nuit noire dans ma chambre et c’est à peine si je vois à te dire que je t’aime et que tu es mon pauvre Toto adoré. Vraiment, si [ce] temps-là continue, il faudra non pas accrocher le SOLEIL à sa boutonnière, comme certain COMMANDEUR de ma connaissance [1], mais ne pas éteindre sa chandelle ni jour ni nuit. Pour ma part je suis très vexée, j’ai eu ce matin pour 28 F. d’huile à brûler qui ne me feront pas vingt jours. Ainsi juge. C’est décidément une abominable saison que l’hiver et je voudrais déjà être au mois de juin pour plus d’une raison, dont la première et même la seule, c’est que nous serions prêts à nous en aller pour deux grands mois [2]. Hélas ! il y a encore sept mortels mois et demi avant d’arriver là. Quel malheur !!!!!!!!!!!!a S’il y avait quelque petite compensation, quelque culotte courte mais doublée, si vous veniez tous les matins déjeuner avec moi, ça se TIRERAIT. Mais rien, c’est bien CHESSE et bien dur de CAFÉ. Enfin, il faut vouloir ce qu’on ne peut empêcher [3] et supporter l’ennui de l’absence par amour et avec l’espoir d’un bon voyage de bonheur avec son adoré petit Toto.
Je vais vous cormoderb votre gant et puis je déjeunerai et je me lèverai. Le sieur Jacquot continue de bouder dans sa cage mais j’espère que le déjeuner le déridera. En attendant, je vous aime, je vous désire et je vous adore. Pensez à moi, mon Toto, aimez-moi et venez bien vite me baiser. J’espère que notre petit Toto va de mieux en mieux et qu’il n’y a plus aucune inquiétude aujourd’hui ? Je vous prie de lui donner un baiser pour moi, je vous le rendrai, soyez tranquille [4].

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 189-190
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) Les points d’exclamation courent jusqu’au bout de la ligne.
b) « cormmoder ».


8 décembre [1841], mercredi soir, 4 h. ¾

Je vous attends toujours, mon cher petit homme, et je vous aime de même. Je voudrais savoir où vous êtes et ce que vous faites. Il me semble qu’il n’y a pas d’Académie aujourd’hui ? Cependant, vous n’en venez pas plus vite. J’exige que vous me rapportiez vos RASOIRS, je ne veux pas que vous vous fassiez la barbe ailleursa que chez moi parce que chemin faisant vous me feriez la QUEUE, ce à quoi je ne me prête pas volontiers. Ainsi, vous l’entendez ? Rapportez-moi vos rasoirs tout de suite. Il m’est arrivé un gros malheur tantôt et dont je suis toute bouleversée. J’ai cassé le joli vase du Japon en forme de coupe que tu m’as donné dernièrement. Il était sur ma table de nuit, j’ai voulu le prendre et je ne sais comment, je l’ai jeté par terre. Je suis vraiment bien maladroite et bien malheureuse. Si on pouvait se flanquer des giffes à soi-même, je ne me serais pas épargnée, je vous prie de le croire. Baisez-moi pour me consoler, mon amour, et revenez cette nuit dès que vous aurez lu cette triste histoire, vous serez bien gentil.
J’ai toujours le doigt dans un état hideux. Cet affreux Jacquot avait bien besoin de me mordre et si je le laissais faire, encore à présent, avec quelle volupté il me dépioteraitb [5]. Décidément, animal pour animal, féroce pour féroce, je vous donne la préférence et quelque chose en plus mais venez, venez donc le prendre ce quelque chose si vous n’êtes pas le plus stupide des académiciens.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 191-192
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « alllieur ».
b) « dépioter » est une variante admise de « dépiauter », quoique moins correcte.

Notes

[1Le père de Hugo, Léopold Hugo, a reçu de Joseph Bonaparte l’insigne, une étoile d’or à cinq rayons surmontée d’une couronne, de l’Ordre royal d’Espagne en 1810.

[2Depuis 1834, Hugo et Juliette ont pris l’habitude d’effectuer un voyage de quelques semaines ou mois pendant l’été et le printemps mais malheureusement, en 1841, le poète était trop occupé par la rédaction monumentale du Rhin et leur voyage annuel n’a pas eu lieu.

[3Expression que Juliette emploie fréquemment.

[4François-Victor Hugo, que Juliette surnomme « le petit Toto » ou « l’autre Toto », est un enfant de santé très fragile et il est malade depuis quelques jours. Il va développer une maladie pulmonaire très grave peu de temps après.

[5Voir les lettres du 3 et 4 décembre 1841 : Jacquot a attaqué Juliette a plusieurs reprises.

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