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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Paris, 16 février 1882, jeudi matin, 7 h. ½

Cher bien-aimé, ce jour et cette date [1] sont restés à jamais bénis dans ma vie depuis quarante-neuf ans accomplis et continuerontc de l’être jusqu’à mon dernier souffle, et au-delà, tant que mon âme survivra à mon corps. J’ai tenu à te le dire plus particulièrement aujourd’hui, non pour t’apprendre ce que tu sais déjà depuis le premier jour où je me suis donnée à toi ; mais pour ma propre satisfaction et pour reprendre à nouveau le bonheur de te l’écrire tous les jours, comme autrefois ; bonheur dont ma mauvaise santé, les jours courtsd et les soins de la maison me privent depuis trop longtemps. Aujourd’hui, en l’honneur de notre cher et doux anniversaire, je redonne l’essor à mes pattes de mouche, un peu ankyloséese, mais qu’importe si elles te portent fidèlement les messages de mon cœur à ton cœur, c’est tout ce que [je] désire.
Je t’ai laissé bien endormi tout à l’heure ; puisse la matinée te donner la part de sommeil qui nous a complètement manqué à tous les deux cette nuit, j’en serai bien heureuse. Le temps est plus que beau ce matin, le soleil bat son plein en ce moment comme si nous étions déjà au mois de mai, c’est charmant ! Si tu voulais nous pourrions profiter de cette belle journée pour faire un pèlerinage à Saint-Mandé, ce serait une façon d’associer nos chères âmes d’en-haut à notre bonheur terrestre en attendant que Dieu nous réunissef à elles quand il lui plaira. Pour cela il ne faudrait pas t’attarder comme tu le fais après ton déjeuner afin de profiter du soleil et ne pas rentrer trop tard ce soir.
En attendant je vais aller tout à l’heure te porter mon cher livre rouge [2], archives de notre amour, afin que tu y inscrives un mot religieux et tendre comme tu le fais tous les ans à cette date bénie et adorée. Cher, cher, cher bien-aimé, mon cœur déborde de tendresse en pensant à toi. Sois béni, sois béni, sois béni ! Comme la pauvre vieille femme devant Dieu qu’elle priait ne trouvait pas d’autres mots à lui dire que son nom : mon Dieu, mon Dieu, mon Dieu ! moi je ne trouve que ce mot : je t’aime, je t’aime, je t’aime ! Il contient toute ma vie, bonne et mauvaise, heureuse et malheureuse, bonheur et malheur, tout revient à ce mot : je t’aime ! C’est celui que je dirai, je l’espère, toute mon éternité. Ce soir, sans que personne s’en doute, nous porterons, des yeux et des lèvres, de la pensée et du cœur, un toast à notre vieux et saint amour. Je te sourirai et tu me souriras et nous serons heureux, comme autrefois, en dépit de nos nombreuses années. Je vais tâcher de ne pas te réveiller en te portant mon livre, tabernacle de nos amours, avec mon pauvre gribouillis plus ardent et plus tendre encore, si c’est possible, que par le passé. Je t’adore.

[Adresse]
Monsieur Victor Hugo

BnF, Mss, NAF 16402, f. 29-30
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette
[Massin]

a) « continuerons ».
b) « cours ».
c) « enkilosées ».
d) « réunissent ».

Notes

[1Le 16 février est l’anniversaire de leur première étreinte.

[2Le Livre de l’anniversaire ou Livre rouge est celui où Juliette conserve précieusement les lettres que Hugo lui adresse chaque année pour célébrer la date de leur première nuit d’amour et celles de leurs anniversaires.

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